Régler la crise du logement : un marathon, pas un sprint

Pour accélérer la résolution de la crise, nous devons changer notre façon de construire des logements.

Le 27 février 2025

Dans un article précédent, nous soulignons qu’avec les ressources actuelles, le Canada a le potentiel de construire beaucoup plus de logements qu’il ne le fait actuellement. Ce constat soulève toutefois une question importante : combien de temps faudrait-il pour achever ces logements et les rendre accessibles aux ménages à revenu faible ou moyen?

Des recherches récentes de la SCHL montrent qu'il pourrait falloir jusqu'à 30 ans pour y arriver! C'est bien sûr beaucoup trop long pour les personnes qui ont besoin d'un logement abordable en ce moment.

Mathieu Laberge
Mathieu Laberge

Mathieu Laberge – Économiste en chef et Premier vice-président, Connaissance du marché

Mathieu Laberge – Économiste en chef et Premier vice-président, Connaissance du marché

Le processus lié à la construction de logements collectifs peut prendre jusqu'à 7 ans

La construction résidentielle est un processus qui commence par la conception et l'aménagement d'un immeuble. Cette phase peut prendre de 3 à 5 ans, selon le type d'immeuble résidentiel. Elle nécessite de réaliser les plans, les documents et les études nécessaires pour passer aux étapes de l'examen, de la délivrance des permis et de l'approbation.

Notre Enquête sur l'utilisation des terres et la réglementation municipale connexe montre que le processus d'examen et d'approbation par les municipalités canadiennes prend en moyenne 1 année complète pour les logements collectifs. Ce délai peut s'avérer beaucoup plus long dans les grands centres urbains, où la demande est la plus forte. Les villes de Vancouver et de Toronto enregistrent les délais d'approbation les plus longs, suivies de Montréal.

Une fois ces étapes franchies, la construction peut commencer. Un de nos récents Rapports sur l'offre de logements (PDF) (voir le tableau 3) porte sur le temps qu'il faut pour construire des logements partout au pays. Dans le cas des logements collectifs, on a constaté que la période de construction s'étend sur 1 à 2 ans, de la mise en chantier à l'achèvement. Au Canada, il faut donc en moyenne de 7 à 8 ans pour construire un immeuble de logements collectifs, comme des appartements destinés à la location.

Le processus de filtrage améliore l'abordabilité du logement, mais il peut prendre jusqu'à 20 ans

La plupart des gens pourraient penser que c'est à ce stade que nous pouvons offrir des logements abordables, mais ce n'est pas le cas. Environ 95 % des habitations au Canada sont des logements du marché. Ces derniers sont conçus pour être offerts à un loyer ou un prix égal ou semblable à ceux du marché, une fois achevés.

C'est lorsqu'un logement est achevé que le filtrage commence. Grâce au processus de filtrage, les logements du marché deviennent avec le temps de plus en plus accessibles aux ménages à revenu faible ou moyen. Notre recherche la plus récente (PDF) explique ce phénomène graduel du filtrage. D'après nos conclusions, il faut jusqu'à 20 ans pour que l'effet de la hausse de l'offre de logements du marché se fasse pleinement sentir, autrement dit pour qu'elle fasse baisser les prix.

Du moment de la conception d'un ensemble résidentiel jusqu'à ce que le filtrage rende les logements abordables, il faut de 25 à 30 ans au total. Il faut tout ce temps pour les logements neufs soient achevés puis offerts sur le marché, puis pour qu'ils aient un effet à la baisse sur les loyers ou les prix. C'est beaucoup trop long pour les personnes à la recherche d'un logement abordable au Canada. Et c'est beaucoup trop long pour mettre fin à la crise du logement actuelle.

La figure ci-dessous illustre le processus complet de production de logements du marché et le temps qu'il faut pour que les prix réagissent à la hausse de l'offre.

Le logement social et abordable est utile, mais ne réglera pas tous les problèmes

À ce stade, il serait facile de dire : « Construisons des logements sociaux, cela ne prendra que 7 ans au lieu de 30! » Cette hypothèse semble logique, mais elle reflète une idée fausse très répandue. L'ajout de logements sociaux aurait certainement des avantages, mais permettrait-il de régler la crise? Essayons de répondre à la question.

En moyenne, dans les pays membres de l'OCDE, environ 7 % du parc résidentiel est composé de logements sociaux (PDF) (en anglais seulement). Dans l'Union européenne, la proportion est d'environ 8 %. Selon les données du recensement et les calculs de la SCHL, les logements sociaux représentent environ 3,5 % du parc résidentiel au Canada. Nous disposons donc d'une bonne marge d'amélioration.

Il faut 575 000 logements sociaux supplémentaires pour atteindre la moyenne de l'OCDE

Le pourcentage de logements sociaux dans le parc résidentiel du Canada est loin de la moyenne des pays de l'OCDE. Pour l'atteindre, il faudrait créer 575 000 nouveaux logements sociaux pour la population canadienne. C'est le double du nombre de logements sociaux qui existent actuellement au pays.

Pour atteindre la moyenne de l'Union européenne, il faudrait créer environ 750 000 logements sociaux. L'ajout d'un si grand nombre de logements abordables aiderait certainement la population canadienne. Mais ce serait nettement insuffisant pour résoudre la crise actuelle selon toutes les estimations de l'offre de logements requise, y compris la nôtre.

Il faut du temps et une offre équilibrée de logements neufs dans toutes les gammes de prix

Les chiffres susmentionnés ne doivent pas nous décourager. Comme je l'ai souligné dans un article précédent, les progrès graduels contribuent grandement à rétablir l'abordabilité du logement au Canada. Cependant, nous devons reconnaître (et en quelque sorte, acceptons) qu'il n'y a pas de solution miracle à la crise. Il faut du temps pour que les prix des logements du marché baissent, et le logement social n'est pas une panacée, peu importe ce qu'on en dit. Pour progresser vers la normalisation du secteur de l'habitation, nous avons besoin d'une offre équilibrée de logements neufs dans toutes les gammes de prix.

Version texte

Ce graphique illustre le calendrier du processus de filtrage. Il montre que l'idéation d'un projet prend de 3 à 5 ans pour l'aménagement et les approbations et de 4 à 7 ans pour la livraison du produit fini. La construction prend de 1 à 2 ans. Il montre qu'une augmentation graduelle de l'abordabilité se produit dans 10 à 20 ans.

Ensuite, nous devons aussi être réalistes quant aux délais. Notre dernière Enquête sur la construction de logements locatifs montre que les promoteurs de logements locatifs planifient généralement leurs investissements sur 10 ans. Lorsque nous analysons ou planifions l'offre de logements, nous devons adopter le même horizon temporel pour évaluer les résultats : 10 ans. Toutefois, certains changements peuvent aider à accroître et à accélérer l'offre d'options de logements qui sont à la portée des ménages canadiens. Nous pouvons en effet agir sur 3 fronts.

  1. Attirer de nouvelles sources de capitaux patients (comme les caisses de retraite et les grands organismes sans but lucratif) pour financer la construction résidentielle. De telles sources pourraient aider à compléter les investissements substantiels que les gouvernements ont réalisés au cours des 10 dernières années. Cette solution n'accélérera pas forcément la construction, mais elle garantira la production d'un nombre suffisant de logements au fil du temps pour répondre aux besoins de la population canadienne.
  2. Continuer de simplifier la réglementation pour permettre aux promoteurs et aux autres parties prenantes du secteur de l'habitation d'accélérer la construction. L'approbation et l'aménagement de logements sont de loin les phases les plus longues du processus de construction résidentielle. Il n'est pas facile de raccourcir le processus de filtrage. Cependant, l'expérience montre que si les municipalités réduisent les formalités administratives et simplifient le processus d'approbation, elles peuvent nettement accélérer le rythme de la construction résidentielle.

    Par exemple, la Ville de Kelowna tire parti d'outils d'intelligence artificielle pour accélérer le traitement des demandes de permis de construire (en anglais seulement). Le gouvernement de la Colombie-Britannique, quant à lui, a annoncé qu'il investira dans la création d'un nouvel outil numérique de délivrance de permis de construire (en anglais seulement). Il a aussi éliminé les obstacles liés au zonage pour les petits immeubles collectifs (en anglais seulement). Ces logements peuvent ainsi être construits sur des terrains zonés pour des maisons individuelles ou des duplex dans certaines régions.

  3. Agir concrètement pour accroître la productivité de la construction résidentielle. C'est possible en adoptant des techniques et des technologies de construction qui ont fait leurs preuves dans d'autres pays, mais qui sont peu utilisées au Canada. Il s'agit notamment des logements modulaires, des tours d'habitation à ossature de bois et même des logements collectifs imprimés en 3D.

    Ces techniques et technologies comprennent aussi l'utilisation accrue de la robotique, de l'intelligence artificielle et de la modélisation des données des bâtiments pour :

    • automatiser certains processus de construction hors site;
    • optimiser la conception des espaces, accélérer la conformité à la réglementation, améliorer la planification des ensembles résidentiels et accroître la précision de la construction.

Enfin, ces changements nécessiteront d'adapter les compétences des travailleurs de la construction résidentielle. Il faudra donc former de nouvelles personnes aux métiers et reconvertir professionnellement celles qui sont actuellement sur le marché du travail. Il faudra du temps pour y parvenir, mais cette mise à niveau des compétences contribuera à résoudre la crise du logement actuelle et aidera tout le monde au Canada.

Mathieu Laberge
Économiste en chef et Premier vice-président, Connaissance du marché

Mathieu Laberge dirige une équipe de spécialistes en économie et perspectives de l’habitation dont le travail éclaire les efforts du Canada pour s’attaquer aux principaux enjeux en matière de logement, y compris l’abordabilité du logement.

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Date de publication: 27 février 2025