(Musique: fondu en ouverture)
(Visuel : Le logo du Gouvernement du Canada et le logo de la SCHL apparaissent ensemble. Une série d’images illustrant la construction des logements au Canada.)
(Visuel : Deux personnes sont représentées en conversation. Ils sont assis l'un en face de l'autre à une table de réunion. Les deux personnes sont Joelle Hamilton, Communications et marketing, SCHL, et Tania Bourassa-Ochoa, économiste en chef adjointe à la SCHL.)
00:00:06
JOELLE HAMILTON : Bonjour tout le monde et re-bienvenue à notre balado. La SCHL vient de publier son dernier rapport sur l’industrie des prêts hypothécaires résidentiels. Nous publions ce rapport deux fois par année parce qu’il nous donne une image claire de ce qui se passe avec les prêts hypothécaires résidentiels et montre comment les conditions économiques affectent les ménages canadiens.
Joelle Hamilton ici, et aujourd’hui, je suis accompagnée de Tania Bourassa-Ochoa, qui est une économiste en chef adjointe à la SCHL.
Bienvenue Tania!
00:00:38
TANIA BOURASSA-OCHOA : Merci Joelle.
00:00:39
JOELLE : Et merci encore d’avoir dit oui, d’être notre invitée aujourd’hui. Vous étiez ici il y a environ six mois pour parler du rapport de l’automne 2023 et moi j’ai hâte de voir ce qui a changé depuis. Pour commencer, est-ce que vous pourriez nous dire, comme un peu, à propos de vous, votre expérience de travail, ce qui vous passionne en tant qu’adjointe économiste?
00:01:06
TANIA : Mais oui, absolument. Donc, je me suis jointe à la SCHL il y a à peu près dix ans. Je me suis jointe comme analyste de marché, à l’époque je travaillais pour la région de Montréal et la région de Trois-Rivières, puis quelques années plus tard, j’ai eu l’opportunité de travailler sur une initiative, une immense initiative, super passionnante, qui était celle de combler des lacunes de données du côté du financement du logement.
Donc, ce que ça voulait dire en fait, c’est qu’on devait créer des questionnaires pour aller chercher des données, rendre des données existantes disponibles, et en fait le rapport sur les prêts hypothécaires résidentiels dont on parle aujourd’hui, c’est vraiment le résultat de toutes ces initiatives-là, donc, je trouve ça vraiment excitant.
Et puis en fait, ce qui me fait vraiment triper, si je peux dire ça comme ça en tant qu’économiste, c’est le fait qu’on fait parler les données, que ce soit des chiffres ou des données, on les fait parler et puis on est vraiment capables de raconter une histoire, raconter une histoire qui va permettre à des gens, à des entreprises ou encore au gouvernement de prendre des décisions qui sont peut-être plus éclairées.
00:02:19
JOELLE : Je vois vraiment votre passion quand vous parlez... c’est super le fun d’avoir quelqu’un qui est tellement passionné par son travail. Donc, lorsque vous étiez ici l’automne dernier, la dette des ménages et le taux de comptes en souffrance augmentaient pour des produits de crédit comme les cartes de crédit ou les prêts pour des automobiles, ça augmentait à cause de la forte hausse des taux d’intérêt.
Qu’est-ce qui a changé au cours des derniers six mois?
00:02:54
TANIA : Donc, en fait, depuis l’automne dernier, on est encore dans un contexte de taux d’intérêt qui est élevé, on a une croissance économique qui est quand même faible, la confiance des consommateurs, elle aussi est faible, et puis en fait, surtout quand on regarde la confiance des acheteurs potentiels.
Donc, tous ces facteurs-là ensemble font en sorte qu’on a vu la croissance de la dette hypothécaire ralentir. Ce n’est pas pour dire que la dette a diminué, mais elle a quand même ralenti, et en fait, la dette elle-même a continué d’augmenter. Et quand on regarde l’activité sur les marchés hypothécaires, c’est vraiment deux choses principales qu’on remarque, beaucoup de renouvellement, donc on en avait parlé l’an passé, c’est vraiment tous les gens qui doivent renouveler leurs prêts hypothécaires et donc à des taux d’intérêt plus élevés, mais aussi une hausse du côté des refinancements.
Donc, en fait, dans le contexte où le coût de la vie est plus élevé, les coûts de financement sont plus élevés, une des raisons principales pour ce refinancement-là, c’est la consolidation de la dette, plutôt que, par exemple, un gros projet. Donc, en fait, c’est vraiment quelque chose qu’on remarque également dans notre enquête de la SCHL sur les consommateurs hypothécaires. Donc, en fait, une autre constatation assez intéressante, c’est le fait que le nombre de transferts a diminué de beaucoup.
Par transferts, on veut dire les emprunteurs qui vont vraiment changer de banque ou d’institution financière au moment du renouvellement. Et puis en fait, ce que ça nous dit, c’est qu’il y a une crainte de l’emprunteur, de ne pas être en mesure de se qualifier avec, tu sais, le niveau de qualification et avec les critères, avec les taux d’intérêt qui sont plus élevés. Mais dans certains cas, il y a peut-être des gens qui ne seraient pas en mesure de se qualifier pour leur habitation elle-même, avec les nouveaux critères.
00:04:52
JOELLE : Avec 1,5 million de titulaires hypothécaires qui doivent renouveler en 2024 et 2025, les renouvellements hypothécaires sont toujours un sujet brûlant. Donc, moi je me pose une question. Combien de personnes ont renouvelé leur prêt hypothécaire l’année passée? Et aussi, combien ont-elles payé? Quelle stratégie utilisent-t-elles pour rendre le paiement plus abordable?
00:05:19
TANIA : Donc en fait, l’an passé, il y a approximativement plus d’un million de prêts hypothécaires qui ont été renouvelés, et ce, à des taux plus élevés. Donc, quand on regarde approximativement combien ça représente, on parle d’à peu près 30 à 40 % de plus pour le paiement mensuel hypothécaire. Par contre, on en avait parlé la dernière fois, mais les gens vont continuer à s’adapter et à trouver des stratégies pour permettre de réduire le plus possible le montant du paiement mensuel. D’une part, la période d’amortissement qui est choisie va souvent être plus longue. Ça nous permet à court terme de diminuer quelque peu notre paiement mensuel, ça nous aide en termes de cash-flow, mais c’est sûr qu’il faut comprendre qu’à long terme, on paye plus d’intérêts pour une plus longue période.
Mais aussi, le choix le plus populaire en 2023, c’est les taux fixes, mais trois ans, quatre ans, donc moins de cinq ans, les gens ne sont vraiment pas prêts à se commettre pour une période fixe de cinq ans avec des taux d’intérêt plus élevés, et ça nous laisse entendre aussi que les gens s’attendent à une baisse des taux d’intérêt, et ce, dans une période rapprochée.
00:06:40
JOELLE : Donc, dans le rapport de l’automne, on a constaté une augmentation des taux de comptes en souffrance pour les cartes de crédit, pour les prêts des automobiles, et puis ceci nous a montré que les Canadiens éprouvaient de la difficulté à payer leurs dettes.
Est-ce qu’on voit encore une augmentation de ces comptes en souffrance?
Est-ce qu’il y a un impact aussi sur les prêts hypothécaires?
Est-ce qu’il y a une augmentation des prêts hypothécaires en souffrance?
00:07:12
TANIA : Donc, effectivement, on avait vu cette augmentation du côté des prêts hypothécaires en souffrance, pour les autres produits de crédit : les cartes de crédit, les marges de crédit, les prêts auto, on voit qu’ils continuent à augmenter, mais là, ça s’est vraiment traduit du côté des prêts hypothécaires.
Donc, là, depuis quelques mois, voire trimestres, on voit une augmentation des taux d’arrérages hypothécaires. Par contre, les arrérages hypothécaires, c’est juste une partie de l’image, ça ne nous montre pas l’image au complet, parce que c’est un indicateur qui est retardé, si je peux le dire comme ça. En fait, qu’est-ce que je veux dire par là, c’est qu’une fois que le ménage tombe en arrérages hypothécaires, ça veut dire qu’il n’a pas été en mesure de faire le paiement pour une période de plus de 90 jours, eh bien, les chances sont que le ménage souffre de pressions financières depuis une beaucoup plus longue période que ça.
Habituellement, quand un ménage va vraiment faire face à ces pressions financières-là, au début, on va le voir plus du côté de la consommation, on va réduire la consommation, on va également réduire le niveau d’épargne, par contre, par exemple, par la suite, si cette pression financière continue à s’exercer, on va voir que le ménage peut peut-être aller creuser dans cette épargne-là, ou va même aller chercher d’autres dettes pour justement être en mesure de faire les paiements à la fin du mois.
Et c’est vraiment par la suite, si cette pression financière persiste, eh bien là, à ce moment-là, ça va peut-être se traduire en arrérages hypothécaires, ce qui met le ménage vraiment à risque de défaut finalement.
00:09:00
JOELLE : Et puis, on voit dans notre rapport que les prêts en souffrance hypothécaires sont plus élevés pour les hypothèques auprès des prêteurs alternatifs par rapport aux prêteurs traditionnels.
Pouvez-vous expliquer ce phénomène et puis les risques qui sont associés aux prêteurs alternatifs ?
00:09:23
TANIA : Oui, absolument. En fait, les prêteurs alternatifs, ça comprend les sociétés de placement hypothécaire, en anglais on les appelle les MIC, ou des prêteurs privés.
Certains prêteurs privés par exemple, c’est des prêteurs qui ne sont pas réglementés et qui vont offrir des produits hypothécaires qui sont quand même assez distinctifs et vont avoir une façon de souscrire le prêt qui est très différente que celle d’une banque, par exemple. La clientèle des prêteurs alternatifs, habituellement, on va voir des gens qui ne sont pas capables de se qualifier avec un prêteur traditionnel.
Ça peut être parce qu’ils ont un historique de crédit qui est plus ou moins bon, ça peut être parce qu’ils n’ont pas d’historique de crédit aussi, ça peut aussi être parce que malheureusement, il y a un événement de la vie là qui n’est pas le fun, qui arrive, comme la séparation, le divorce ou la maladie par exemple, mais il y a aussi des travailleurs autonomes qui vont faire partie de cette clientèle-là. Tout ça pour dire que cette clientèle a un profil qui est à la base plus risqué.
Donc, on n’est pas surpris de voir les taux d’arrérages soient plus élevés pour ce segment-là, que le marché traditionnel. Par contre, depuis un certain temps, on a vu les arrérages augmenter depuis une plus longue période de temps et de manière plus rapide. Et donc, on se pose effectivement la question si cette tendance-là va se poursuivre et si on va la voir se traduire dans le marché, dans le reste de l’industrie finalement.
00:11:00
JOELLE : Donc, on entend souvent parler que les Canadiens ont pu accumuler des économies substantielles pendant la pandémie, mais que ces économies semblent maintenant soit épuisées ou réduites. Quels sont les indicateurs qui nous montrent cela?
00:11:18
TANIA : En fait, c’est vraiment une bonne question parce qu’on a effectivement examiné une foulée d’indicateurs pour essayer de mesurer cette pression financière-là avant qu’elle arrive à un arrérage hypothécaire.
Et effectivement, une des choses qu’on voit à travers nos données de crédit, par exemple, c’est que ce coussin financier qui avait été accumulé pendant la pandémie, donc vous vous souviendrez, on avait plusieurs programmes au niveau des reports de paiements hypothécaires, le gouvernement avait offert des programmes de support de revenu pour les gens, les revenus ont augmenté de manière assez significative, le marché du travail était bon et donc les gens ont été en mesure de mettre de l’argent de côté et de se bâtir un petit coussin financier. Effectivement, nos données de crédit nous montrent vraiment que chez certains ménages, ce coussin financier-là s’est vraiment épuisé. Une autre chose qu’on voit aussi à travers ces données-là, c’est que certains ménages vont même avoir recours à la dette pour payer d’autres dettes.
Donc, c’est vraiment à travers certains indicateurs qu’on est en mesure de voir ces changements de comportements financiers qui nous laissent sous-entendre vraiment qu’il y a vraiment une pression financière qui s’exerce. Quand on regarde du côté de l’épargne nationale, en moyenne, on voit que le taux a diminué, mais on se retrouve approximativement autour de 6 %. Par contre, quand tu creuses la donnée, on voit que chez les ménages les moins nantis ou ceux qui ont des revenus plus bas jusqu’à des revenus moyens on dirait, il y a vraiment une désépargne.
Et ce qu’on veut dire par là, c’est que les gens non seulement n’épargnent plus, mais ont recours à leur épargne pour être capables d’arriver à la fin du mois. Une des choses que je trouvais également intéressante, c’est dans notre enquête de la SCHL sur les emprunteurs hypothécaires. On remarque qu’un emprunteur, en fait, un répondant sur quatre mentionne avoir des craintes par rapport à leur habileté à faire leurs paiements hypothécaires dans le futur.
Donc, ça nous donne vraiment un pouls de comment les gens se sentent par rapport à ça. J’ai également essayé de creuser d’autres indicateurs, peut-être plus alternatifs, on dirait, pour essayer de mesurer cette pression.
Il y a une enquête de Statistique Canada sur la sécurité alimentaire que je trouvais particulièrement intéressante et malheureusement, on remarque qu’un Canadien sur quatre, selon cette enquête-là, dit faire face à de l’insécurité alimentaire, et ce qu’on veut dire par insécurité alimentaire, c’est qu’on doit soit couper dans la qualité, dans la quantité de nourriture ou dans les deux, pour être capable d’arriver à la fin du mois.
Et donc, c’est vraiment... donc ça se traduit vraiment par cette pression dont je parlais, qui s’exerce sur nos ménages.
00:14:24
JOELLE : Et puis en entendant ça, il faut que je te pose cette question, est-ce que le pire est encore à venir ou est-ce qu’on l’a déjà vécu?
00:14:33
TANIA : En fait, ce qu’il faut comprendre, c’est que cette situation-là, ces indicateurs-là, nous laissent sous-entendre que les ménages et les emprunteurs hypothécaires sont beaucoup plus fragiles. Est-ce que ça va nécessairement se traduire en arrérages hypothécaires?
Pas nécessairement, mais ils sont beaucoup plus fragiles s’ils faisaient face à une perte d’emploi, justement, à un événement de la vie dont on parlait plus tôt. On s’attend quand même à ce que les taux d’arrérages hypothécaires continuent à augmenter. On l’a vu, le marché de l’emploi s’est détendu un peu, on a un petit peu plus de taux de chômage.
Donc, avec tout ce contexte-là, on s’attend que ça continue d’augmenter, mais ça va être limité quand même. D’une part, on s’attend à ce que 2025 nous amène un vent de fraîcheur en termes économiques, on s’attend un peu à un genre de reprise de momentum économique, ce qui devrait encourager la confiance des consommateurs et l’emploi également. Donc, ça devrait limiter de par ce fait-là. Mais également, on s’attend à ce que le prix des habitations demeure soutenu.
Donc, mes collègues vous en ont parlé, certes, les dernières fois, du côté de l’offre, on a une offre qui est très limitée et donc ça va vraiment permettre au prix de continuer de se soutenir au cours des années à venir. Et donc, pour un ménage qui fait face à de la pression financière de manière persistante, qui ne trouve pas de solution quelconque, peut toujours avoir recours à la vente de la propriété, dans un marché qui est quand même considéré liquide et qui peut lui permettre de vendre la propriété dans un délai quand même raisonnable.
00:16:23
JOELLE : Donc, Tania, en regardant vers l’avenir, quelles sont des stratégies, des ressources ou des mesures potentielles qui pourraient être prises pour atténuer les risques émergents?
00:16:37
TANIA : En fait, je pense que c’est important de savoir... tu sais aujourd’hui on a parlé beaucoup de chiffres, de données, mais derrière tous ces chiffres-là se cachent vraiment des gens, des familles qui vraiment ressentent cette pression financière qui peut se traduire en pression émotionnelle quand même assez forte.
En termes de stratégies, c’est sûr que les stratégies vont être très distinctes, tu sais ça va être très différent d’une personne, d’un ménage, à un autre. C’est sûr qu’il peut y avoir par contre différentes solutions. Il y a toujours la possibilité d’aller voir un conseiller en crédit par exemple, qui peut vraiment examiner la situation, la situation très spécifique, et vraiment ensuite conseiller en termes de différentes solutions. Mais sur notre site, on a également mis quelques liens qui pourraient vous aider à trouver différentes ressources.
00:17:32
JOELLE : Eh bien Tania, cela conclut notre balado aujourd’hui. Merci beaucoup d’être ici parmi nous.
00:18:00
TANIA : Merci Joelle.
00:18:02
JOELLE : Tu nous as donné beaucoup d’informations et beaucoup de choses, beaucoup de matière à réflexion, et moi j’ai hâte que tu reviennes dans six mois pour nous parler de comment les choses ont changé et ont évolué depuis le printemps.
Et merci à vous de nous avoir écoutées aujourd’hui. Vous trouverez dans la description ci-dessous un lien vers le rapport complet sur l’industrie hypothécaire résidentielle de la SCHL. Dites-nous ce que vous avez pensé de la discussion aujourd’hui et laissez-nous un commentaire sur cette vidéo. Et n’oubliez pas de vous abonner à notre chaîne YouTube pour découvrir d’autres conversations importantes ici sur notre balado.
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