Aled ab Iorwerth
Économiste en chef adjoint
En tant qu'économiste en chef adjoint, Aled ab Iorwerth fait partie d'une équipe d'économistes et de chercheurs dans le domaine du logement qui s'efforcent d’améliorer notre compréhension, au Canada, des facteurs favorables et défavorables sur les marchés de l’habitation et de leur incidence sur l’abordabilité. Aled est aussi membre d'une équipe nationale diversifiée de chercheurs et d'analystes qui étudient les obstacles à l'offre de logements et les solutions possibles.
Le Canada est reconnu pour ses villes dynamiques, ses paysages à couper le souffle et sa culture diversifiée, ce qui en fait un bel endroit où vivre. Malheureusement, certaines parties du Canada sont aussi de plus en plus reconnues pour leurs logements inabordables. Le coût élevé du logement est devenu un obstacle pour beaucoup de gens, avec la montée en flèche des prix ces 10 dernières années et la forte diminution des options de location.
La crise de l’abordabilité du logement que nous vivons est en train de s’enraciner. La nécessité d’accroître le nombre de logements au Canada se fait sentir depuis des années. Il nous faut plus de logements, sous toutes leurs formes, dans tous les marchés et dans l’ensemble du continuum du logement, et ce, rapidement.
Nous avons déclaré qu’il faudra un parc résidentiel de plus de 22 millions de logements d’ici 2030 afin d’assurer l’abordabilité pour tout le monde au Canada. Atteindre ce niveau exigera de créer 3,5 millions de logements supplémentaires au cours des 7 prochaines années, en plus de ceux dont la construction est déjà prévue. Selon une estimation approximative, cela représente un investissement d’au moins 1 billion1 de dollars.
Nous avons besoin à la fois d'une série de politiques et d'investissements gouvernementaux et d'une participation accrue du secteur privé. L'ampleur du défi est telle que le secteur privé doit contribuer à la solution – les gouvernements ne peuvent y arriver seuls.
En raison des énormes montants qu’il faut investir, nous devons repenser et changer l’approche du Canada concernant l’offre de logements. Une transformation radicale du secteur de l'habitation s’impose. Nous avons besoin d’une approche concertée pour accroître l’offre de logements afin de répondre à une demande en constante augmentation.
Pour sa part, le gouvernement fédéral a lancé la Stratégie nationale sur le logement en 2017 afin de donner à un plus grand nombre de personnes un chez-soi sûr et abordable. Des programmes fédéraux visant l’offre de logements, comme l’initiative Financement de la construction de logements locatifs et l’Initiative pour la création rapide de logements, ainsi que l’annonce récente de l’augmentation de la limite annuelle des Obligations hypothécaires du Canada, ne sont que quelques-unes des mesures de financement novatrices qui ont été prises pour remédier à la pénurie dans le continuum du logement. Les gouvernements des provinces et des territoires investissent aussi pour accroître l’offre. Mais en tant que pays il faut faire plus, beaucoup plus.
Les logements sociaux feront partie de la solution. Cependant, selon notre meilleure estimation, ils ne représentent qu'environ 4 % de la totalité du parc de logements. Accroître le nombre de logements sociaux – même si cela aidera – ne permettra donc pas de relever les défis immenses auxquels nous sommes confrontés dans l'ensemble du système de logement. Les logements du marché composent aujourd'hui plus de 95 % du parc immobilier.
Nous devons considérer le logement comme un système dont toutes les parties doivent être renforcées en même temps, car elles sont interdépendantes. Les problèmes dont souffre une partie du système nuisent à tout le reste. Les solutions doivent inclure une augmentation de l'offre de logements du marché, tant pour les locataires que pour les propriétaires-occupants. Il faut entre autres stimuler les processus du marché pour nous aider à atteindre l'abordabilité. L'offre de logements neufs du marché rendra les logements existants progressivement plus abordables. Cet effet de cascade doit être accéléré, car c’est un processus qui prend malheureusement du temps.
Lorsque la demande est forte et en hausse, et que l’offre est insuffisante et peu réactive, on aboutit à une crise de l’abordabilité du logement. Les spécialistes, les économistes et les défenseurs du logement peuvent en convenir. La question n’est plus de savoir si nous devons accroître l’offre, mais plutôt comment nous pouvons le faire. Là où il y a toutefois un désaccord, c'est sur la manière dont nous pouvons parvenir à l’abordabilité grâce à un afflux considérable de nouveaux logements au cours de la prochaine décennie.
Dans les semaines et les mois à venir, nous renouvellerons nos arguments sur les causes du manque d’abordabilité du logement et plaiderons en faveur d’investissements massifs du secteur privé dans le logement. C’est ce que certains appellent la financiarisation.
Les acteurs et les spécialistes du secteur de l’habitation ont des opinions différentes sur la financiarisation du logement. Collectivement, nous ne pouvons pas simplement présumer que la propriété privée du logement locatif nuit à l’abordabilité.
La propriété privée est essentielle, et nous avons un besoin urgent d’accroître l’offre de logements, en particulier sur le marché des logements expressément construits pour la location. Il faudra donc offrir les bons incitatifs au secteur privé afin d’obtenir les investissements massifs requis. La propriété privée peut jouer un rôle positif considérable. C’est pourquoi les activités néfastes de certains acteurs du marché doivent faire l'objet d'une réglementation efficace pour qu’elles cessent de blâmer l'ensemble du secteur.
Nous manquons de données pour comprendre l’ampleur de ces pratiques négatives chez les propriétaires-bailleurs privés et leur incidence sur l’abordabilité. Nous devons faire la lumière sur l’étendue de ces problèmes. Par conséquent, nous demandons aux municipalités et aux provinces de nous fournir les données qui nous aideront à mieux comprendre toute mauvaise pratique des propriétaires-bailleurs.
L’investissement privé dans le logement (c'est-à-dire la financiarisation) peut jouer un rôle déterminant dans la résolution de nos problèmes d’abordabilité du logement. Mais il doit fonctionner dans un cadre réglementaire solide où des mesures sont prises pour remédier aux comportements nuisibles. Toutes les parties concernées doivent aussi faire ce qu’elles peuvent pour appuyer l’engagement du Canada à réaliser progressivement le droit à un logement suffisant. Les solutions que nous proposons doivent contribuer à accroître l’offre et à fournir à tout le monde un chez-soi sûr et abordable. Personne ne doit être laissé pour compte.
Il ne s'agit pas seulement de consacrer plus de ressources à la résolution du problème de l'offre de logements. Il faut aussi changer nos façons de faire au sein du gouvernement et du secteur privé. Nous avons travaillé avec des partenaires pour examiner la corrélation entre les règlements municipaux sur l’utilisation des terres et l’abordabilité du logement. Le gouvernement fédéral a lancé le Fonds pour accélérer la construction de logements afin d’aider à réformer ces politiques. Il doit aussi y avoir une meilleure intégration des politiques entre les différents gouvernements. C’est essentiel pour réduire les formalités administratives et la charge financière qui nuisent à la construction résidentielle, tout en respectant les objectifs sociaux et environnementaux.
Le secteur privé a un rôle essentiel à jouer et doit lui aussi faire mieux. Nous avons soulevé la question de la capacité de main-d’œuvre dans plusieurs provinces et la façon dont elle empêche de répondre aux besoins en matière d’offre. Les données internationales semblent toutefois indiquer que la croissance de la productivité dans le secteur de la construction n'a pas été assez forte. Nous devons renforcer les compétences, accroître l'automatisation et l'innovation dans la construction, rationaliser les chaînes d'approvisionnement et passer de la conception sur mesure à la fabrication en série pour réduire les coûts.
Atteindre l’abordabilité du logement au Canada d’ici la prochaine décennie exige un vaste effort concerté qui combine les investissements privés, la responsabilité sociale et des solutions gouvernementales. Un mélange parfait de ces trois éléments peut entraîner des changements en profondeur et améliorer l’abordabilité du logement pour tout le monde au Canada, maintenant et dans l’avenir.
1 Un million de millions de dollars