Ce laboratoire de solutions met l’accent sur les jeunes en situation d’itinérance en tant que population prioritaire de la Stratégie nationale sur le logement.
Eva’s Initiatives est un organisme jeunesse qui a dirigé un laboratoire de solutions visant à schématiser le cheminement des jeunes en situation d’itinérance. Le laboratoire de solutions Journeys In and Out s’est penché sur :
- le cheminement des jeunes en situation d’itinérance et la précarité du logement dans les grandes régions urbaines du Canada;
- la prévention de l’itinérance.
3 Objectifs clés
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Prévenir l’itinérance et atténuer les pressions en matière de logement sur les maisons de transition et les refuges d’urgence grâce à une compréhension des tendances migratoires qui amènent les jeunes dans les maisons d’hébergement.
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Créer de meilleurs programmes et de meilleures politiques pour soutenir les jeunes et répondre à leurs besoins en matière de logement.
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Comprendre l’itinérance et atténuer les différences en matière de logement pour les jeunes racisés ou ceux qui quittent les régions rurales pour les centres urbains.
Étendue du projet et résultats attendus
Eva’s Initiatives for Homeless Youth est aux premières lignes à Toronto depuis l’ouverture de sa première maison d’hébergement en 1994. Depuis, elle a ajouté à ses activités la réduction des méfaits, la formation professionnelle, le rétablissement des liens familiaux et de nombreux autres services de soutien aux jeunes vulnérables.
Selon Kay Dyson Tam, gestionnaire, Impact et innovation chez Eva’s, de nombreuses personnes et organisations bien intentionnées luttent contre l’itinérance chez les jeunes, mais le font en vase clos, alors les bonnes solutions traversent peu les limites municipales.
De plus, la discussion sur les politiques est déconnectée de l’expérience de certains types de personnes vulnérables. Kay donne l’exemple des jeunes LGBTQ des petites villes qui sont souvent contraints de quitter leur domicile pour Toronto en raison des programmes qui y sont offerts, mais qui finissent isolés faute de soutien de la collectivité. Les réfugiés et les étudiants vivent également des difficultés en matière de stabilité du logement.
« Je travaillais au sein de l’organisation depuis quelques mois quand nous avons soumis notre proposition, explique Kay. De toute évidence, les discussions sur les politiques et les solutions techniques soulevées lors des conférences ne correspondaient pas aux réalités vécues en première ligne. »
Cette proposition consistait à établir un « laboratoire de solutions » pour réduire le cloisonnement et tester des solutions concrètes pour lutter contre l’itinérance chez les jeunes. « Un laboratoire de solutions est un bon moyen de réunir diverses parties prenantes – par exemple, des équipes cliniques ainsi que des personnes travaillant directement avec les jeunes, comme des intervenants et des chercheurs – pour obtenir des renseignements », affirme Kay. Les jeunes clients, qui connaissent le mieux les obstacles qu’ils vivent et leurs propres forces, participeront également.
Profiter d’une expertise diversifiée
Pour mener à bien le laboratoire de solutions, Eva’s avait besoin d’élargir son expertise. En mars 2019, l’organisation a reçu 249 960 $ dans le cadre du programme des laboratoires de solutions du gouvernement du Canada, qui fait partie de la Stratégie nationale sur le logement. Administré par la SCHL, le programme aide les organisations à explorer de nouvelles solutions aux problèmes complexes de logement.
Ce financement a permis à Eva’s de recourir aux services de Doblin Canada, une société d’experts-conseils pouvant appliquer une expertise en conception, en sciences sociales et en technologie à la problématique de l’itinérance chez les jeunes. « Nous excellons dans la prestation de services, mais il y a tellement de pratiques exemplaires que nous n’aurions jamais connues sans Doblin », poursuit Kay. Le financement a également permis d’embaucher une équipe de pairs-chercheurs ayant une expérience vécue, élément essentiel à l’adoption de solutions réellement efficaces.
Le laboratoire de solutions, appelé Journeys In and Out, a également intégré l’Observatoire canadien sur l’itinérance de l’Université York comme carrefour de recherche, pour obtenir un soutien universitaire. Deux autres fournisseurs de services, Dans la rue (Montréal) et Pacific Community Resources Society (Vancouver), ont élargi la perspective sur les similitudes et les différences des métropoles canadiennes et déterminé les solutions applicables à grande échelle.
L’approche prend forme
La première étape du laboratoire de solutions consistait à élaborer une méthode pour résoudre le problème par des techniques novatrices. Il fallait aller au-delà des entrevues, car beaucoup de jeunes dont les perspectives éclaireraient les solutions souffraient de traumatismes et étaient réticents à discuter. L’équipe a assisté à une formation donnée par Vikki Reynolds, experte en traumatismes, dont le « modèle fondé sur la résilience » aide à faire ressortir les forces des participants. Trop souvent, selon Kay, on se borne à questionner les jeunes sur leurs expériences négatives : « Pour améliorer nos services, nous devons connaître leurs réussites et les actes de résilience qui ont assuré leur survie : "J’ai trouvé de l’aide" ou "J’ai aidé mon jeune frère". Les jeunes peuvent ainsi se percevoir comme le héros de leur histoire. »
Pour cette approche, l’équipe a élaboré plusieurs outils :
- Cartes de résilience – ensemble de messages-guides qui aident les jeunes à reconnaître leurs actes de résilience.
- Cartes d’informations personnelles et résidentielles – ensemble de messages-guides visant à obtenir de l’information sur les antécédents et le parcours des jeunes (données démographiques, relations, situation résidentielle), mais aussi à discuter des problèmes sous-jacents et des solutions potentielles.
- Parcours de cheminement – cartes visuelles du parcours d’un jeune en situation d’itinérance visant à relier les points saillants de son récit pour le rendre aisément compréhensible pour les participants.
Thèmes émergents
Une fois l’approche établie, un chercheur et un pair-chercheur ont interviewé 25 jeunes, de 16 à 24 ans, en situation d’itinérance ou à risque de le devenir. Trois thèmes sont ressortis de leurs témoignages :
- Effet boule de neige – Pour de nombreux jeunes, un incident d’apparence mineure peut entraîner des effets importants. Par exemple, une blessure peut nuire à la capacité de travailler, ce qui entraîne un défaut de paiement des factures, puis une expulsion. Cette situation pourrait arriver à quiconque, mais révèle habituellement des vulnérabilités préexistantes dues au manque de ressources ou de plans de secours pour faire face à l’adversité.
- Écart des possibilités – Certains groupes sont particulièrement vulnérables. Des services et ressources peuvent être offerts au grand public, mais l’ethnicité, les handicaps, les situations familiales ou les capacités linguistiques peuvent les rendre difficilement accessibles. De plus, les ressources varient selon les collectivités et certains services peuvent nécessiter des biens ou des connaissances (comme une voiture ou un savoir-faire bureaucratique) inaccessibles à certains.
- Importance de l’interdépendance – De nombreux cheminements menant à l’itinérance découlent de l’échec des relations avec la famille, la collectivité et les pairs. Pour sortir de l’itinérance, il faut soit rétablir ces relations d’une manière nouvelle et réalisable, soit trouver de nouvelles relations permettant une affirmation identitaire authentique. Cela est particulièrement important pour les jeunes LGBTQ.
Prototypes de solutions
Les entrevues, ainsi que les parcours établis, ont permis de relever des lacunes dans le cheminement des jeunes qui sortaient de l’itinérance. Les participants au laboratoire ont défini 10 approches potentielles pour combler ces lacunes.
Un exemple concerne le transport : « Il y avait d’énormes lacunes, ce qui a exacerbé l’expérience d’itinérance des jeunes, a déclaré Kay. Elle donne l’exemple d’un jeune qui s’est présenté en centre d’hébergement. Faute de lits, il s’est fait rediriger, puis donner un billet d’autobus et une carte. Il s’est ensuite perdu en terrain inconnu. Le jeune, traînant ses biens, sans endroit où brancher son téléphone, n’a pu recevoir de nouvelles indications et a passé la nuit dehors. La solution, utilisée à Montréal et facilement adaptable à grande échelle, consiste à instaurer des navettes entre les centres d’hébergement.
Un autre exemple est celui des « maisons d’accueil », un programme de déjudiciarisation mis à l’essai au Royaume-Uni et implanté à Toronto. Celui-ci vise à utiliser les 2 millions de chambres vacantes de la ville en jumelant des résidents approuvés avec des jeunes qui cherchent un abri. Parallèlement, le programme HomeShare de Toronto réussit à jumeler des aînés avec des étudiants qui, en échange de tâches convenues, bénéficient de loyers réduits. Ce modèle puissant aide les aînés à vieillir dans la collectivité et les étudiants, à trouver un logement abordable de qualité. « Les maisons d’accueil permettent un atterrissage en douceur, surtout si le jeune est en période de transition avant un retour à l’université », explique Kay. De tels programmes bénéficieront de Home Match, une plateforme numérique en développement grâce à un investissement de la SCHL, qui facilitera le jumelage des aînés ayant des chambres vacantes avec des étudiants, partout au Canada.
D’autres interventions technologiques existent, comme un processus d’accueil sur appareil mobile pour les centres d’hébergement. Cette solution est intéressante pour les jeunes, mais également pour les fournisseurs de services qui les joindront là où ils sont, et non dans un quartier étranger.
Prochaines étapes
La période de consultation initiale du laboratoire de solutions Journeys In and Out est terminée, mais beaucoup reste à faire. Pour les services, cela signifie de mettre à l’échelle certains des prototypes de solutions, comme les logements modulaires temporaires couronnés de succès à Vancouver. Le 220 Terminal Avenue est le premier ensemble de logements mobiles, modulaires et abordables de Vancouver à recevoir un financement du Fonds d’innovation pour le logement abordable. Ce modèle est maintenant reproduit dans les métropoles du Canada dans le cadre de la nouvelle Initiative pour la création rapide de logements. Celle-ci soutient la construction rapide de logements abordables pour répondre aux besoins des Canadiens vulnérables, accentués en cette crise de la COVID-19.
Eva’s et les autres participants n’ont pas encore dévoilé leurs résultats complets, mais ont pris la parole lors de conférences et discuté avec des partenaires. Kay prévient que certaines solutions ne pourront être mises à l’échelle, surtout dans les petites collectivités, mais que la méthodologie de recherche elle-même sera universelle. « Nous avons des conseils pour devenir axés sur le client et sur la résilience. Ces solutions ne nécessitent pas d’investissements massifs. »
Entre-temps, le laboratoire de solutions Journeys in and Out s’est mérité 2 distinctions dans le cadre des World Changing Ideas of 2020 de Fast Company dans les catégories Amérique du Nord et Justice sociale (liens en anglais seulement).
Responsable du laboratoire de solutions : Eva’s Initiatives for Homeless Youth
Emplacement : Toronto (Ontario)
Collaborateurs / Partenaires du projet :
- Vikki Reynolds (Ph. D.), consultante
- Observatoire canadien sur l’itinérance (OCI)
- Pacific Community Resources Society (Vancouver)
- Dans la rue (Montréal)
Pour en savoir plus :
Envoyez un courriel à Innovation-Recherche@schl.ca
ou
visitez la page Innovation de la Stratégie nationale sur le logement.
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