Le contexte économique des 2 dernières années n’a pas été facile pour la population canadienne. Les gens comptent beaucoup sur les interventions gouvernementales en matière de logement pour alléger leur budget déjà serré. J’ai travaillé sur de nombreuses politiques sociales et économiques en tant que consultant et stratège principal en politiques au sein du gouvernement fédéral. J’ai ainsi appris qu’en ce qui concerne les enjeux socioéconomiques du pays, le manque d’abordabilité du logement n’est qu’une pièce importante parmi plusieurs autres d’un casse-tête multidimensionnel. Parfois, il s'agit de la cible à corriger, mais parfois ce n’est qu’un symptôme de problèmes plus profonds.
Dans cet article, je cherche à proposer une vision systémique de la place du logement dans le contexte socioéconomique global du Canada. Les interventions en matière de logement peuvent atténuer les difficultés financières tout en ne constituant qu’une solution à court terme. J’espère également que cet article ouvrira la porte à un dialogue élargi sur la façon dont toutes les pièces du casse-tête socioéconomique du Canada s'assemblent et sur la nécessité de former une coalition pour résoudre ces problèmes.
Quand le logement est-il le cœur du problème et quand est-il un symptôme?
L’abordabilité du logement a beaucoup diminué au cours des dernières années et plus particulièrement au cours des derniers mois, dans un contexte économique incertain caractérisé par :
- une croissance économique proche de 0 % pendant la majeure partie de 2023;
- un taux d’inflation qui oscille autour du seuil supérieur de la fourchette cible de la Banque du Canada, qui se situe entre 1 et 3 % (2,9 % en janvier 2024, en baisse par rapport à 3,4 % en décembre 2023);
- la hausse des taux hypothécaires;
- une croissance démographique alimentée par les cibles d’immigration se situant autour de 500 000 personnes par an;
Beaucoup de gens qui pouvaient auparavant se payer un logement répondant à leurs besoins ont dû renouveler leur prêt hypothécaire à un taux d’intérêt nettement plus élevé. Les locataires qui ont déménagé ont dû composer avec une forte hausse des loyers depuis la dernière fois qu'ils ont cherché un logement locatif. Dans certains cas, l’augmentation peut atteindre des niveaux si élevés qu’elle oblige les ménages à consacrer plus de 30 % de leur revenu aux frais de logement. Ces ménages se situent donc en dessous du seuil d’abordabilité utilisé pour déterminer les besoins impérieux en matière de logement.
Les gens dans cette situation sont surtout confrontés à des problèmes de logement. L’inflation pèse sur leurs finances, mais c'est le logement qui est vraiment au cœur de leurs difficultés financières. Si l'on élimine la pression financière exercée par le logement, les autres problèmes financiers deviennent plus supportables, même s’ils peuvent demeurer difficiles.
Souligner la vulnérabilité à court terme du logement et le besoin de solutions durables
Nous estimons qu'au Canada, 64,1 % des personnes qui avaient des besoins impérieux en matière de logement de 2011 à 2019 sont restées dans cette situation pendant un maximum de 2 ans (nous pourrions parler de « besoins impérieux transitoires »). En appliquant ce raisonnement, nous pourrions estimer que plus de 1,7 million de personnes éprouvaient des besoins impérieux transitoires en matière de logement en 2021.
Nous savons que de nombreux Canadiens avaient des besoins impérieux en matière de logement avant la pandémie et pendant la crise financière qui a suivi. Il est probable que nombre d’entre eux auront encore de tels besoins une fois que la crise de l’abordabilité du logement aura été réglée pour la moyenne des gens au Canada.
Des mesures visant à réduire les pressions financières dues au logement pourraient alléger une partie du fardeau financier de ces ménages à court terme. Toutefois, il se peut qu’elles ne règlent pas la situation à long terme. Dans ces cas, les solutions axées sur le logement traitent le symptôme sans remédier aux problèmes socioéconomiques plus profonds.
La réalité, bien sincèrement, c'est que les personnes qui sont constamment sous pression à cause du coût du logement ont un problème de revenu.
Examiner la vulnérabilité à long terme du logement au Canada et proposer des interventions à volets multiples
Une recherche de la SCHL a montré qu'au Canada, 23,5 % des personnes qui avaient des besoins impérieux en matière de logement de 2011 à 2019 sont demeurées dans cette situation pendant plus de 4 ans (c’est ce que nous pourrions appeler des « besoins impérieux structurels »). Selon ce pourcentage, environ 650 000 personnes éprouvaient des besoins impérieux structurels en matière de logement en 2021.
Ce phénomène peut nécessiter des interventions au-delà du domaine du logement. Au cours des prochains mois, la SCHL prévoit de publier un rapport pour suivre, annuellement et à plus long terme, le nombre de personnes qui commencent à avoir des besoins impérieux en matière de logement et qui cessent d'en avoir.
Parce que j'ai travaillé avec des personnes ayant une expérience vécue de vulnérabilité en matière de logement, je reconnais que de nombreux facteurs (autres qu’économiques) ont une incidence sur le revenu.
On peut notamment citer les traumatismes intergénérationnels, les problèmes de santé mentale ou physique, les dépendances et les préjugés systémiques à l’égard des populations vulnérables, comme le racisme et l’homophobie. Il est également bien établi que le Canada est confronté à un retard de productivité persistant, à long terme, par rapport à ses principaux partenaires économiques.
Ce retard de productivité peut avoir comme sources notre niveau d’investissement dans le capital physique, les infrastructures et l’éducation. Il est également lié à la composition de notre secteur industriel et à notre capacité de transformer l’innovation issue de la R-D et des investissements énumérés ci-dessus en entreprises rentables. Pour améliorer ces facteurs, il faut une vaste gamme de solutions socioéconomiques.
Des réponses rapides sur un horizon temporel continu
Il est essentiel de cerner les causes fondamentales des différents résultats socioéconomiques, qu’il s’agisse de problèmes de logement ou de revenu. Ensuite, il faut reconnaître que le rythme de résolution de ces problèmes est dicté tant par leur complexité que par la nature des solutions envisagées.
La plupart des problèmes liés au logement et au revenu que vit la population canadienne peuvent être résolus. Cependant, il faudra consacrer des milliards de dollars en temps et en ressources pour que les solutions aient une incidence durable. Entre-temps, plusieurs souffrent mentalement, physiquement et financièrement au Canada.
Trouver un équilibre entre une aide immédiate et des solutions à long terme aux problèmes de revenu et de logement au Canada
Alors, la question à se poser est la suivante : comment relever ces défis tout en veillant à ce que les gens puissent composer avec leur situation actuelle? S’attaquer seulement aux difficultés à court terme peut permettre d'atténuer la pression immédiate, mais souvent on néglige ainsi les causes fondamentales du problème.
À l’inverse, le fait de ne régler que les problèmes à long terme signifierait que la population canadienne continuerait, à court terme, de faire face à des conditions financières exceptionnellement difficiles, sans aide. Les solutions qui ne visent que les problèmes à long terme ont donc peu de chance d’être acceptées par la société.
Les solutions doivent répondre aux besoins à court et à long terme. Malheureusement, très peu de solutions permettent de faire les deux en même temps. Deux ensembles de solutions pourraient alors être nécessaires pour résoudre les problèmes liés au revenu et au logement. Idéalement, ces ensembles se renforceraient mutuellement. Les solutions à court terme seraient ainsi coordonnées et conçues pour soutenir et compléter les solutions à long terme.
Réunir les défis et le temps nécessaire à leur résolution
Le diagramme ci-dessous présente certains déterminants et certaines solutions clés qui ont une incidence sur les problèmes de logement et de revenu à court et à long terme. Avoir une vision à la fois de la nature des problèmes et du temps aide à mieux comprendre la place du logement dans les grands enjeux économiques du Canada. Une telle vision met aussi en relief l’interconnexion entre les problèmes de revenu et de logement et leurs déterminants.