Notes d’allocution pour Evan Siddall, Président et premier dirigeant, Société canadienne d’hypothèques et de logement
Série d’événements nationaux sur l’innovation en matière de logement – Première partie
The Globe and Mail Centre
Toronto (Ontario)
Seul le texte prononcé fait foi
Merci. Bonjour et bienvenue au premier des trois événements sur l’innovation en matière de logement, que la SCHL présente en partenariat avec The Globe and Mail. Nous sommes heureux de compter sur la collaboration de Dream et du Keesmaat Group à titre de commanditaires.
J’ai la réputation d’exprimer mon point de vue de manière directe, et non en employant la langue de bois d’un fonctionnaire. Je ne vous décevrai pas. Ce n’est qu’en débattant vigoureusement et en échangeant des points de vue très différents que nous arriverons à des solutions qui répondent le mieux à notre objectif commun : améliorer l’abordabilité des logements pour tous au Canada.
C’est un objectif noble qui, selon certains, est naïvement irréaliste. On a certes pu envoyer un homme sur la lune, mais est-ce possible d’offrir des logements abordables pour tous? Soyons sérieux…
J’espère que tout le monde ici reconnaît le mérite de l’aspiration de la SCHL – notre grand objectif audacieux : « D’ici 2030, tout le monde au Canada pourra se payer un logement qui répond à ses besoins ».
Pour nous, cela représente beaucoup plus qu’une bonne idée – c’est impératif. Il va droit au cœur de notre idéal canadien d’inclusion, qui englobe l’adhésion sociale et le bien-être collectif, familial et individuel. Des logements convenables et abordables sont essentiels à notre prospérité et à notre stabilité économiques, à notre capacité d’innover et de croître, pour faire en sorte que personne ne soit laissé pour compte.
Comme le dit Matthew Desmond dans son livre Avis d’expulsion, lauréat d’un prix Pulitzer, « Le logement est absolument essentiel à l’épanouissement humain. Sans un abri stable, tout s’écroule »1.
Le logement fait également partie des infrastructures dont les villes du monde ont besoin – tout aussi essentiel que les aéroports, les routes, les systèmes de transport en commun et d’autres incontournables pour des centres urbains dynamiques et en croissance2. Les avantages socio-économiques d’un logement stable et abordable sont indéniables3,4. Les gens qui ont de bonnes conditions de logement ont tendance à être en meilleure santé5. Les enfants et les ados qui vivent dans un milieu résidentiel stable ont de meilleurs résultats scolaires6.
L’accès à un logement sûr, stable et abordable soutient l’inclusion sociale et économique; il est essentiel à la croissance économique soutenue et à la compétitivité du Canada.
Je pense que nous sommes tous d’accord sur ce point. Il ne fait aucun doute que des différences ressortiront sur la manière d’y parvenir. Plus particulièrement à la lumière de nos discussions d’aujourd’hui, quelles sont les politiques à mettre en place pour accroître l’offre de logements?
Cette question cache la prémisse suivante : au bout du compte, une offre accrue et plus efficace est la principale solution à nos problèmes actuels d’abordabilité. Sous cette question se cache une autre prémisse ou un défi : comment les gouvernements peuvent-ils mieux favoriser l’offre de logements, plutôt que de l’entraver par des règles et des règlements souvent contre-productifs, contraignants et désuets?
À l’échelle fédérale, la Stratégie nationale sur le logement, un programme sur 10 ans dirigé par la SCHL, prévoit des investissements sans précédent à long terme dans l’offre de logements.
Les municipalités peinent chaque jour à réduire les listes d’attente de personnes parmi les plus vulnérables à la recherche d’un logement et nous avons récemment vu des hausses budgétaires importantes consacrées au logement abordable dans des villes comme Vancouver, Victoria et Ottawa. Comme ici à Toronto également. Plus tôt cette semaine, le maire Tory a annoncé un investissement de 8,5 milliards de dollars sur 10 ans dans le plan d’action pour le logement à Toronto (« HousingTO »). Grâce à la participation d’autres paliers de gouvernement, le plan d’action vise à construire quelque 40 000 logements abordables et logements avec services de soutien dans toute la ville.
Pourtant, on trouve également des exemples de politiques à tous les paliers de gouvernement qui nuisent à l’abordabilité du logement en restreignant l’offre ou en stimulant la demande, deux facteurs qui ne font qu’augmenter les prix.
L’assurance prêt hypothécaire et l’aide à la mise de fonds soutenues par le gouvernement aident les gens à acheter un logement pratiquement sans mise de fonds. La demande de logements est également stimulée par l’exemption de l’impôt sur les gains en capital pour les résidences principales.
Les règlements de zonage et les taxes d’équipement favorisent généralement le mauvais type de construction résidentielle, soit les maisons individuelles plus chères qui utilisent les terres et nos ressources naturelles de manière inefficace et sont de plus en plus inabordables pour de nombreuses familles canadiennes, en particulier les jeunes ménages. Les longs processus d’approbation retardent l’accroissement de l’offre de logements neufs sur le marché. Dans certains cas, les promoteurs à qui on permet d’acquérir des terrains – un bien rare dans les grands centres urbains – n’en font rien pendant des années pour que leur valeur augmente de façon exponentielle.
À cause de l’offre insuffisante, les vendeurs deviennent plus riches et les acheteurs, plus endettés. Les locataires finissent par payer plus que ce qu’ils devraient pour un logement, et plus de gens dépendent du soutien du gouvernement pour combler leurs besoins de logement.
Ce qui compte vraiment – ce qui devrait tous nous faire réfléchir –, c’est que les inégalités en matière de logement nous divisent : elles créent un fossé inégalitaire qui nous sépare à un moment où cela semble de plus en plus dangereux.
Une offre déficiente est à l’origine des problèmes d’abordabilité du logement dans nos villes. Les recherches de la SCHL ont confirmé que la demande dépasse considérablement l’offre à Vancouver et à Toronto, deux pôles d’attraction pour les personnes à la recherche d’un emploi7.
Notre « rêve de devenir propriétaire » est immuable et régressif. C’est une promesse que nous ne pouvons pas tenir, compte tenu de notre ouverture envers les immigrants et les étudiants étrangers ainsi que de l’urbanisation.
Les gouvernements doivent indiquer la voie à suivre. Nous devons travailler de façon unie en misant sur des politiques mieux coordonnées et en soutenant une véritable innovation. Demander aux autres paliers de gouvernement de faire preuve d’audace serait… audacieux… si nous-mêmes n’abattions pas d’obstacles.
L’audace du gouvernement face à l’insuffisance de l’offre semble synonyme d’encore plus d’argent. Pour être honnête, il n’y en a pas suffisamment. L’argent aide, mais j’ai conclu que notre argent pourrait faire beaucoup plus si l’offre était plus efficace.
Une capacité sous-utilisée est peu coûteuse et facilement disponible. Elle existe sous forme d’aînés et de personnes seules qui louent un logement sous-occupé, d’interdictions ou de restrictions visant les maisons donnant sur une allée et les logements accessoires, d’autres modèles de cohabitation et d’autres idées.
Cela m’amène au sujet d’aujourd’hui et au défi que je lance aux villes. À notre avis, il faut accroître la densification pour résoudre les problèmes d’abordabilité du logement dans les marchés où l’offre est limitée. Je parle ici d’une utilisation accrue de la capacité de logement à grande échelle.
Si on regarde seulement cet indicateur, les villes canadiennes ont beaucoup de chemin à faire pour rattraper les autres villes de rang mondial. En moyenne, la densité de population des régions métropolitaines de Vancouver et de Toronto est environ de 486 personnes par kilomètre carré. Par comparaison, elle approche les 1 700 personnes par kilomètre carré à New York, les 1 800 à Londres et les 4 200 à Tokyo8.
Il semble évident que nous devons combler cet écart en matière de densification dans les villes de rang mondial comme Toronto et Vancouver. Il est aussi temps que d’autres villes s’occupent de leur densification et prennent les devants, pour ainsi dire. Une augmentation de la densité de seulement 25 % entraînerait la construction d’environ 530 000 logements dans la RMR de Toronto et de près d’un quart de million dans la RMR de Vancouver.
Si les villes veulent faire croître leur économie, elles doivent attirer à la fois des employeurs et des travailleurs. Le logement est un élément essentiel de l’équation de la croissance. Le simple fait de bâtir des logements plus loin dans les banlieues entraîne des coûts économiques, environnementaux et sociaux élevés.
La densification est au cœur de l’idée de « supergrappe » économique. Les avantages de la densification sont nombreux. Il suffit de se tourner vers des villes comme San Francisco, Tel-Aviv et New York pour constater les avantages de la proximité des entreprises pour favoriser la croissance économique. De plus, la densification améliore l’efficacité des infrastructures de transport en commun et facilite l’accès aux services sociaux et communautaires.
L’offre de la densification est plus abordable sur le plan économique et plus durable sur le plan environnemental. La densification peut aussi apporter une contribution importante aux objectifs du Canada en matière de changement climatique. Fait crucial, surtout dans les villes comme Toronto, la densification utilise aussi les terrains plus efficacement. Des preuves remontant à 200 ans démontrent que la combinaison d’une offre limitée de terrains et d’une population croissante entraîne une hausse des prix des terrains9.
Le prix actuel des terrains dans certaines villes canadiennes est prohibitif et contraire à l’abordabilité. Comme le dit un de mes collègues, on doit d’abord sortir d’un trou de six pieds de profondeur. À Toronto, les terrains représentent 77 % du coût d’une habitation neuve. À Vancouver, c’est 80 %. En comparaison, les terrains représentent un peu plus de 30 % du coût d’une habitation neuve à Montréal10.
La densification n’est pas la seule solution, mais elle est sans aucun doute la plus efficace, la plus nécessaire et la plus logique. Au-delà des modifications mineures, elle est absente.
Je serai franc avec vous : nous sommes loin d’être convaincus que la « légère densification » dont nous allons entendre parler aujourd’hui lors de la première séance contribuera de manière importante à rendre les logements plus abordables pour les gens qui vivent dans des villes où les terrains sont limités, comme Toronto et Vancouver. Une densification agressive – voire perturbatrice – sera nécessaire pour que nos villes demeurent des moteurs de croissance économique, d’innovation et de création d’emplois qui profitent à tous les Canadiens.
Cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas en faveur d’une légère densification – dans certains quartiers, c’est très logique. Comme je l’ai déjà dit, toute nouvelle offre est une bonne offre, qu’il s’agisse d’un logement accessoire, d’un appartement en sous-sol ou d’un projet qui remplace une maison individuelle existante par un duplex ou un triplex.
Pour avoir une incidence importante sur l’abordabilité du logement, nous devons bâtir à la verticale, au lieu de privilégier l’étalement urbain horizontal. Nous devons remplacer 10 maisons individuelles par 100 ou 200 logements dans un immeuble collectif, qu’il s’agisse de logements locatifs ou de copropriétés.
Toutes choses étant égales par ailleurs, à moins que la densité des logements ne s’accroisse, il est probable que les prix des logements continueront d’augmenter11.
Les défis habituels nous nuisent. Le syndrome « pas dans ma cour », les restrictions de zonage, les limites de densité et les droits d’aménagement favorisent les maisons individuelles par rapport aux immeubles collectifs. En termes simples, les approches actuelles de l’urbanisme nuisent à la densification et à d’autres solutions de logement abordable.
Ce n’est que grâce aux efforts concertés de tous les paliers de gouvernement et d’autres intervenants qui épousent notre cause que nous pouvons surmonter les obstacles à l’accroissement de la densité.
Nous ne prétendons pas avoir toutes les réponses, mais la SCHL a relevé certains domaines qui, selon nous, nécessitent une attention particulière.
Par exemple, nous devons régler les problèmes de la chaîne d’approvisionnement qui limitent la construction de logements. Nous devons explorer des façons non conventionnelles d’encourager les promoteurs à construire des logements dès maintenant, plutôt que d’attendre afin de maximiser leurs profits. Les gouvernements doivent éliminer les possibilités économiques myopes qui consistent à retarder l’aménagement en limitant les approbations dans le temps ou en taxant les réserves foncières.
Les besoins impérieux en matière de logement sont quatre fois plus courants parmi les locataires que parmi les propriétaires, principalement en raison du prix inabordable des logements. Nous avons besoin d’accélérer l’offre de logements locatifs neufs de forte densité.
Nous devons aussi cesser de taxer la densité. Selon les recherches de la SCHL, les aménagements à densité élevée dans la RGT sont assujettis à des droits d’aménagement non fédéraux (droits d’aménagement, droits de rezonage et autres droits municipaux et provinciaux) plus élevés que les aménagements à faible densité. C’est vraiment une taxe sur la densité. Dans le Grand Vancouver, le réaménagement de propriétés est assujetti à des charges non fédérales plus élevées que les immeubles neufs.
Nous devons faire en sorte que les collectivités acceptent et approuvent la densification – même si elle se trouve dans leur cour arrière.
Nous devons dénoncer la glorification de l’accession à la propriété pour le bobard régressif qu’elle est. La location est une option tout à fait valable et peut en fait être la meilleure option à long terme pour de nombreux ménages. La promotion excessive de l’accession à la propriété est économiquement et socialement contre-productive, ce qui contribue à la division croissante entre les riches et les pauvres.
Nous avons beaucoup de pain sur la planche, surtout dans un pays où la maison individuelle en banlieue continue à faire rêver de nombreuses personnes – un mirage alimenté par un secteur immobilier débordant d’énergie. Par exemple, les constructeurs d’habitations feraient plus pour l’environnement s’ils favorisaient des immeubles locatifs à forte densité et à faibles émissions que s’ils se battaient contre des moulins à vent pour promouvoir des maisons individuelles à consommation énergétique nette zéro.
Le logement, ça compte. Il est impensable pour nous d’accepter le statu quo, qui n’est pas viable et qui représente une menace très réelle pour l’environnement, notre tissu social et la stabilité financière.
La SCHL est prête à faire sa part – à agir à titre de rassembleur national pour réunir les gens, puis élaborer et mettre en œuvre des solutions stratégiques qui appuieront notre aspiration pour 2030. Nous sommes reconnaissants envers The Globe d’avoir fait exactement cela.
Nous ferons de notre mieux pour offrir les meilleurs conseils aux gouvernements et à d’autres, trouverons des moyens de dire « oui » à de nouvelles approches, en concevrons nous-mêmes nous l’espérons et continuerons à promouvoir l’inclusivité qui est la marque de commerce du Canada dans le monde. Si nous n’agissons pas, nous condamnons nos enfants à une société que nous ne reconnaîtrons probablement pas.
Le logement, ça compte. La densification démontre que nous sommes attentifs.
1 Matthew Desmond. Avis d’éviction : enquête sur l’exploitation de la pauvreté urbaine, Crown, 2016.
2 Evan Siddall. « Il faut un village pour bâtir une ville : l’abordabilité comme responsabilité collective » (discours prononcé au forum sur le financement de l’habitation du Northwind Professional Institute), Cambridge, 7 février 2018.
3 Evan Siddall. « Le logement, ça ocmpte » (discours prononcé à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain), 3 décembre 2015.
Evan Siddall. « Aucune solitude : une Stratégie nationale sur le logement (discours prononcé devant le Canadian Club of Toronto), Toronto, 1er juin 2017.
4 Selon une étude réalisée en 2012 par le Mowat Centre de l’Université de Toronto, les investissements dans le logement locatif abordable stimulent le PIB tout en réduisant les coûts en aval pour la société. Noah Zon, Melissa Molson et Matthias Oschinski. « Building Blocks: The Case for Federal Investment in Social and Affordable Housing in Ontario », Mowat Research #98, School of Public Policy and Governance, Université de Toronto, septembre 2014.
5 David Hay. Housing, Horizontality and Social Policy. Réseau canadien de recherche sur le logement, Family Network, 2005.
6 Liste des références choisies :
Evan Siddall. « Le logement, ça compte », op. cit.
Société canadienne d’hypothèques et de logement, Division des politiques et de la recherche, Offrir aux familles un avenir et des occasions grâce au modèle d’accession à la propriété d’Habitat pour l’humanité, « Le Point en recherche, Série socio-économique », 13-004, avril 2013.
Charles Waldegrave et Michaela Urbanová. « Social and Economic Impacts of Housing Tenure », Rapport pour la New Zealand Housing Foundation, Family Centre Social Policy Research Unit, novembre 2016.
7 SCHL, Centre d’analyse de marché, Examen de l’escalade des prix des logements dans les grands centres métropolitains du Canada, février 2018.
8 Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). L’OCDE a défini une méthode pour examiner les densités de population dans les pays; ces chiffres pourraient donc différer de ceux de Statistique Canada.
9 David Ricardo, 1817. On the Principles of Political Economy and Taxation, Londres : John Murray. Ces questions sont examinées d’un point de vue théorique dans Volker Grossman et Thomas Steger, 2017, « Das House-Kapital : A Long Term Housing & Macro Model », document de travail du FMI WP/17/80.
10 JLR, Landcor, calculs de la SÉFM par la SCHL. Les données sont celles des villes respectives, et non celles des RMR.
11 David K. Miles et James Sefton, « Houses across time and across place », Centre for Economic Policy Research Discussion Paper, DP12103, juin 2017.