Notes d’allocution de Evan Siddall, Président et premier dirigeant, Société canadienne d’hypothèques et de logement
Northwind Professional Institute
Forum sur le financement de l’habitation
Langdon Hall
Cambridge (Ontario)
Seul le texte prononcé fait foi
Introduction
Merci. Je suis heureux d’être ici aujourd’hui. En février dernier, j’ai eu le privilège de faire une allocution au premier Forum sur le financement de l’habitation du Northwind Professional Institute. J’ai parlé de la transformation de la SCHL, qui s’inscrit précisément dans notre objectif de devenir le chef de file mondial de la gestion des risques liés au logement. Puisque la SCHL est une institution financière d’importance systémique, la gestion des risques restera une priorité absolue pour nous : elle est au cœur même de notre mandat, soit de contribuer à la stabilité du système financier du Canada.
Cependant, notre mandat comporte un autre volet important : la SCHL doit faciliter l’accès des Canadiens au logement, à tous les types de logement, partout au pays, quelle que soit la conjoncture économique et pour les gens de tous horizons, notamment ceux dont les moyens sont limités. Comme je l’ai déjà dit, nous pouvons nous servir du logement pour aider nos concitoyens les plus vulnérables et pour bâtir une société plus inclusive1.
Ce que je veux montrer ce soir, c’est que les deux volets de notre mandat ne sont pas aussi opposés que certains le pensent. Au contraire même, l’accès à des logements convenables et abordables, en plus de limiter les risques liés à la croissance économique, favorise l’inclusion et la cohésion au sein des collectivités. J’irai même plus loin. En permettant aux Canadiens d’occuper des emplois qui tirent avantage de leurs compétences et de leurs idées, un marché de l’habitation équilibré soutient la croissance économique à long terme. Il est essentiel d’élargir l’accès au logement de manière responsable, mais il faut éviter que l’augmentation de la demande nuise à l’abordabilité.
La clé de la croissance à long terme, c’est investir dans le capital humain, c’est-à-dire dans l’innovation et le talent. Nous devons faire en sorte que tous les Canadiens puissent tirer le maximum de leur savoir-faire et de leur imagination. Beaucoup d’emplois qui permettent de réaliser ce potentiel se trouvent dans nos grandes villes. Personne ne devrait avoir à refuser un emploi qui maximiserait sa contribution à la société et à l’économie uniquement à cause d’une pénurie de logements convenables dans la région ou parce qu’ils sont trop chers. La SCHL a comme raison d’être de relever ce défi.
L’automne dernier, le gouvernement du Canada a dévoilé sa première Stratégie nationale sur le logement, un plan ambitieux de 40 milliards de dollars sur 10 ans, dont l’objectif est de faciliter, pour les Canadiens, l’accès à un logement correspondant à leurs besoins et à leur budget. Cette initiative comprend l’adoption notable d’un « droit au logement », ce qui en souligne le caractère fondamental. La portée de cette stratégie est, comme son nom l’indique, nationale puisque ses effets se feront sentir autant dans les petites collectivités éloignées que dans les grands centres urbains. Ce soir, je m’attarderai particulièrement à la manière dont le logement peut soutenir ou entraver le développement de villes canadiennes de rang mondial.
Les villes de rang mondial sont des sources d’innovation et de création de la richesse
Chef de file mondial en services-conseils de gestion, A.T. Kearney fait le suivi de données sur les plus grandes villes du monde depuis une dizaine d’années. Selon son dernier rapport qui portait sur 128 centres urbains, trois villes canadiennes, soit Montréal, Toronto et Vancouver2, se retrouvent parmi les 35 premières villes de son indice. Ces deux dernières figurent d’ailleurs parmi les 25 villes présentant la meilleure « perspective », autrement dit le meilleur potentiel de compétitivité dans l’avenir3. Quand je parle de ces centres urbains, je ne désigne pas les villes au sens restreint, mais plutôt les grandes régions métropolitaines.
Voilà une bonne nouvelle pour le Canada. Nous avons besoin de villes de rang mondial pour générer une croissance économique soutenue, et donc la prospérité. De plus en plus, les villes de rang mondial sont des centres d’innovation, de compétences et de création de la richesse, auxquels se superpose un flux mondial d’information, de commerce, de technologies et de transactions financières4. Ce sont des carrefours de culture, d’immigration et de connaissances5.
Comparativement aux autres centres urbains, les villes de rang mondial ont tendance à avoir un faible taux de criminalité et à offrir une grande qualité de vie en proposant des attraits auxquels s’attendent les citoyens prospères, soit les arts, le théâtre, des établissements d’enseignement supérieur, des commerces et boutiques de mode haut de gamme et des divertissements de qualité mondiale6.
Elles sont aussi axées sur la mobilité, avec de grands aéroports et des systèmes de transport qui les relient aux autres centres urbains, aux autres marchés et aux autres villes de même rang. Elles assurent une mobilité pratique pour les travailleurs, notamment pour les travailleurs du savoir temporaires, qui vont et viennent fréquemment d’une ville ou d’un pays à l’autre, saisissant les occasions professionnelles là où elles se trouvent.
Si vous admettez avec moi que le développement responsable de villes de rang mondial est bon pour notre économie, comment pouvons-nous participer de façon proactive à leur plein épanouissement au Canada? Et quel rôle doit jouer le logement dans cette équation?
Le logement est une composante de l’infrastructure urbaine
Les facteurs que je viens de mentionner font que les villes de rang mondial contribuent substantiellement aux économies nationales. Toronto et Vancouver correspondent assurément à ce profil : ce sont deux pôles d’attraction pour les Canadiens à la recherche d’un emploi, comme pour les immigrants à la recherche d’une vie meilleure. Toutefois, si une croissance démographique et la formation connexe de nouveaux ménages alimentent la croissance économique, elles entraînent aussi une hausse de la demande de logement.
Le logement fait donc partie des infrastructures essentielles qui favorisent le développement de villes de rang mondial, comme des aéroports, des réseaux routiers, des systèmes de transport en commun et d’autres incontournables pour créer des centres urbains dynamiques et florissants. Notre Stratégie nationale sur le logement reconnaît précisément cette réalité.
Pour faire simple, les gens ont besoin d’un toit. Tous, pas seulement les travailleurs du savoir très bien rémunérés et les autres Canadiens de la classe moyenne. Une économie forte repose sur une main-d’œuvre diversifiée, qui travaille autant dans la livraison d’achats en ligne que dans la restauration, le taxi, le commerce de détail ou le soutien administratif… et j’en passe. Ces travailleurs, qui soutiennent indirectement l’innovation et la croissance économique, ont tous besoin d’un logement abordable. Dans le cadre de notre Stratégie nationale sur le logement, nos efforts se concentrent tout particulièrement sur nos concitoyens les plus vulnérables, souvent en marge des activités sociales.
Une pénurie de logements, ou une offre inadéquate de logements, risque donc de freiner la croissance d’une ville. En fait, la rigidité de l’offre ne fait qu’alourdir les coûts de logement. Ce constat simple, mais indispensable, s’impose. Comme l’a souligné l’économiste américain Joseph Gyourko, « les prix élevés résultent toujours de l’effet conjugué d’une forte demande et d’une offre limitée »7.
La dynamique de l’économie mondiale fait en sorte que les travailleurs du savoir gagnant un très bon salaire doivent pouvoir rapidement se rendre où leurs compétences sont recherchées et rémunérées convenablement. Cela dit, il y a un besoin grandissant de mobilité aussi chez les travailleurs moins qualifiés, dont certains doivent se déplacer d’une ville à l’autre, ou à l’intérieur d’une même ville, pour occuper leur emploi idéal. Il est donc primordial de nous assurer que le marché de l’habitation n’entrave pas cette mobilité, pour que des villes comme Toronto, Montréal et Vancouver puissent réaliser leur potentiel de croissance8.
À titre d’exemple, une pénurie de logements locatifs peut compromettre la capacité des travailleurs à trouver un logement près d’un emploi privilégié. Immanquablement, ça fait aussi grimper les loyers. Cette situation, d’une part, rend difficile pour les citoyens à faible revenu de trouver un logement abordable et, d’autre part, incite ceux dont le revenu est plus élevé à se tourner vers l’achat d’une propriété, peut-être en contractant des dettes trop élevées par rapport à ce qui serait raisonnable. Si le nombre d’acheteurs augmente mais que l’offre est stable, les prix vont continuer d’augmenter.
Pour faciliter la transition, une solution consisterait à créer une assurance loyer « du dernier mois » pour certains locataires. Notre équipe évalue actuellement si nous pouvons offrir ce genre de soutien.
Selon une étude publiée par le National Bureau of Economic Research de Cambridge (Massachusetts), l’effet boule de neige soutenant la croissance des villes de rang mondial, où l’innovation attire les investissements et les travailleurs plus qualifiés qui la stimulent, commence à se dissiper si les coûts de logement deviennent une barrière à l’immigration9.
San Francisco est un bon exemple d’une ville de rang mondial dans cette situation. Dans un récent texte d’opinion publié dans le New York Times, Enrico Moretti, professeur d’économie à l’Université de Californie (Berkeley) et chercheur ayant participé à l’étude dont je viens de parler, a mis en évidence une offre de logements qu’il qualifie de « totalement inadéquate » dans une région actuellement très attrayante pour les travailleurs qualifiés. Selon lui, la pénurie est dans ce cas attribuable à la lenteur et à la complexité des processus d’approbation, ainsi qu’aux restrictions draconiennes entourant l’utilisation du sol10. C’est là une perspective inquiétante pour le Canada.
Un marché déséquilibré est profitable pour certains, notamment les propriétaires dont l’actif s’apprécie continuellement, ce qui représente un transfert supplémentaire de richesse venant des locataires ou des personnes qui veulent accéder à la propriété. Une étude de Matthew Rognlie, du MIT, suggère d’ailleurs que, depuis la Deuxième Guerre mondiale, les tendances concernant les revenus et les inégalités économiques sont « presque exclusivement alimentées par le logement »11.
Si M. Moretti n’approfondit pas cette question dans son article, une étude exhaustive qu’il a réalisée avec ses collègues indique que le manque de logements n’apporte rien aux entreprises de la région de San Francisco, ni à l’économie américaine dans son ensemble, puisqu’il empêche la création de technologies qui autrement auraient pu y voir le jour.
En effet, il est probable que le coût élevé de la vie fasse fuir certains talents et en décourage d’autres de venir s’installer dans région de la baie de San Francisco en premier lieu. Quant aux entreprises, elles peuvent s’établir où déménager là où les logements sont plus abordables pour leurs employés12. Je connais personnellement des chefs d’entreprise de Vancouver qui songent à déménager leur siège social pour attirer plus de travailleurs.
Le prix élevé des logements ne doit pas être le seul indicateur d’une ville de rang mondial, nous ne voulons pas que ce soit la première chose à laquelle on pense si on envisage d’y emménager pour un emploi. Nous ne voulons pas non plus qu’une insuffisance de logements limite la croissance économique en décourageant les talents de venir s’installer sur place.
Je le répète, pour être durables et viables, les villes de rang mondial doivent offrir un large spectre de logements, des refuges pour les itinérants aux copropriétés de luxe, en passant par les logements communautaires. L’important, c’est qu’un pourcentage considérable de ces logements, loués ou achetés, soit accessible aux résidents à revenu faible ou moyen, soit ceux qui contribuent au fonctionnement de ces villes.
Appel à une coordination de l’offre
Au chapitre de l’offre, comment les grandes villes canadiennes se débrouillent-elles? Y trouve-t-on une offre de logements propice à soutenir leur développement à long terme?
Pour mieux comprendre les marchés de l’habitation au Canada, et plus précisément la raison de l’escalade du prix des logements à Vancouver et à Toronto, la SCHL a étudié de manière approfondie l’offre et la demande sur nos grands marchés urbains13. Notre rapport en découlant, paru plus tôt aujourd’hui, représente l’examen le plus rigoureux des tendances concernant les prix des logements réalisé à ce jour au Canada. Du côté de la demande, il confirme que les tendances relatives à la croissance économique et démographique, combinées à de faibles taux d’intérêt, expliquent en grande partie la hausse des prix dans les villes canadiennes. Autre fait important, nous avons découvert que la réaction de l’offre à l’augmentation des prix a été beaucoup plus faible à Toronto et à Vancouver qu’ailleurs au Canada.
Source : SCHL
Avant de chercher les coupables, je dois dire que nous n’avons pas complètement éclairci les causes de ce phénomène. Nous sommes devant des données incomplètes, et nous devons travailler plus étroitement avec d’autres instances pour comprendre la situation. Nous avons l’intention de le faire mais, entre-temps, nous voulons prendre des mesures de soutien.
Comme décideurs politiques, nous devons arrêter de stimuler la demande et encourager plutôt l’offre de logements.
La Stratégie nationale sur le logement reflète le retour du gouvernement fédéral
Selon nous, il faut un effort concerté pour augmenter l’offre de logements sur tout le continuum de l’abordabilité. Par « concerté », j’entends un effort qui engage tous les ordres de gouvernement, de même que les secteurs privé et sans but lucratif. Un effort qui nécessite une refonte complète de la planification de l’utilisation du sol, du zonage et du développement, mais aussi la déstigmatisation de la location. Qu’on soit locataire ou propriétaire, un foyer reste un foyer.
Notre nouvelle Stratégie nationale sur le logement établit un cadre pour favoriser la collaboration et les initiatives conjointes dans tout le système du logement. C’est une stratégie délibérément axée sur l’offre, avec le triple objectif de combler les besoins impérieux de 530 000 ménages, de rénover 300 000 logements abordables et d’investir dans la construction de jusqu’à 100 000 logements durant la prochaine décennie.
En plus d’aider les groupes les plus vulnérables de la société, ce qui est notre principal objectif, cette approche améliorera la mobilité de la main-d’œuvre en élargissant l’offre de logements destinés aux travailleurs à revenu faible ou moyen, pour qu’ils puissent s’établir plus près de l’emploi qu’ils souhaitent avoir.
Par exemple, grâce au nouveau Fonds national de co-investissement pour le logement, la SCHL accordera jusqu’à 16 milliards de dollars sur 10 ans, sous forme de prêts et de contributions, pour permettre aux autres ordres de gouvernement, ainsi qu’aux secteurs privé et sans but lucratif, de construire des logements abordables, de préserver l’offre actuelle de logements abordables et de concevoir des solutions de logement.
Voilà notre principale contribution financière à l’offre de logements. Ce Fonds permettra de produire jusqu’à 60 000 logements et de rénover jusqu’à 240 000 logements abordables et communautaires. Nous appuyons aussi une augmentation de l’offre au moyen de l’initiative Financement de la construction de logements locatifs, qui prévoit des prêts à faible coût pour soutenir les municipalités et les promoteurs durant la première phase, soit la plus risquée, de la production de logements destinés à la location.
Pour maximiser l’incidence de ce Fonds, le gouvernement du Canada va céder des terrains fédéraux d’une valeur pouvant atteindre 200 millions de dollars à des fournisseurs de logements communautaires et abordables, le but étant d’encourager la production d’ensembles résidentiels durables et accessibles, favorisant la mixité des revenus et des usages dans les collectivités. Dernièrement, on a laissé entendre que seules les villes offraient des terrains excédentaires; nous apportons aussi notre contribution. À compter de cette année, nous fournirons également un financement pour les travaux d’assainissement environnemental et les rénovations ou remises en état nécessaires, afin que les bâtiments excédentaires fédéraux puissent être utilisés comme logements.
Densification et priorité aux logements locatifs
Pour appuyer la croissance des villes de rang mondial, nous devons augmenter l’offre de logements locatifs abordables, mais ce n’est qu’une partie de la réponse. Plus généralement, nous devons accroître l’offre de logements adaptés au marché et destinés à la fois aux locataires aux propriétaires-occupants. De cette façon, nous pourrons équilibrer le marché, favoriser la stabilité financière et soutenir les entreprises et la croissance économique.
Comme je l’ai déjà dit, l’offre a réagi faiblement à Toronto et à Vancouver. Les mises en chantier de copropriétés ont augmenté, mais pas celles des maisons individuelles. Et, conséquence inévitable d’une offre limitée, la flambée du prix des maisons individuelles se poursuit.
Comme société, nous devons nous demander si ce phénomène est inéluctable. L’exemple d’autres villes de rang mondial nous montre que c’est le cas. Les pressions environnementales et budgétaires, combinées à d’autres facteurs comme les contraintes géographiques, entraînent la densification urbaine et la baisse de l’offre de maisons individuelles. Nous devons gérer efficacement cette transition, en évitant les cahots susceptibles de nuire à la croissance économique, dont le risque constant que les acheteurs se retrouvent aux prises avec un niveau d’endettement ingérable en poursuivant le rêve canadien de posséder une maison individuelle.
La manière dont les municipalités et les promoteurs construisent nos villes est un élément à l’importance grandissante. De notre point de vue, la densification est cruciale. Si on regarde seulement cet indicateur, les villes canadiennes ont beaucoup de chemin à faire pour rattraper les autres villes de rang mondial. En moyenne, la densité de population des régions métropolitaines de Vancouver et de Toronto est environ de 486 personnes par kilomètre carré. Par comparaison, elle approche les 1 700 personnes par kilomètre carré à New York, 1 800 à Londres et près de 4 200 à Tokyo14.
La plupart des citadins canadiens sont en faveur de la densification, si c’est ailleurs que dans leurs quartiers. En pratique, le concept vient avec son lot de frictions et d’obstacles. Les planificateurs municipaux et les politiciens sont souvent pris entre le désir des promoteurs de construire « en hauteur », pour rendre leurs immeubles économiquement viables, et la volonté des résidents locaux de préserver le cachet de leurs quartiers pour, selon eux, maintenir la valeur de leur propriété. Puisqu’on ne peut pas empêcher la construction de logements, nous devons choisir entre construire à l’horizontale, soit l’étalement urbain, ou à la verticale, soit la densification.
Les deux arguments sont valables. Cependant, la façon de faire actuelle pose un risque pour l’avenir de notre économie, d’autant plus qu’elle est régressive sur le plan environnemental. On ne peut plus exclusivement construire des maisons individuelles au-delà des banlieues. L’étalement urbain et la construction de grandes maisons sur de grands terrains engendrent des coûts importants non seulement pour les acheteurs, mais aussi pour les gouvernements, la société et l’environnement15.
Il ne s’agit pas seulement de logements. Il faut alors aussi construire et entretenir des routes et des égouts, ce qui représente un lourd fardeau pour les administrations municipales et les contribuables. Il y a aussi plus de véhicules qui émettent des gaz à effet de serre et d’autres polluants. Sans compter les trajets plus longs pour les travailleurs, la perte de terres agricoles productives, l’empiétement sur les zones écosensibles et la diminution du temps consacré aux loisirs, à la famille et aux liens sociaux.
Sachant que le problème existe, nous devons le gérer attentivement. La multiplication des règlements ou des droits d’aménagement restreignant l’offre de logements dans les centres-villes va pousser les acheteurs vers la banlieue, et donc accroître la pollution. D’après l’économiste américain Edward Glaeser, les propriétés locatives aux États-Unis sont souvent situées dans de vastes ensembles collectifs, où la densité est plus grande et la pollution moindre16.
Vers une stratégie fédérale globale sur le logement
Il faut adopter une approche plus holistique pour la production de logements. Tous les ordres de gouvernement, dont le fédéral, doivent travailler de concert pour élargir l’offre de logements et créer des collectivités inclusives où les gens souhaitent vivre et travailler, avec des emplois, des garderies, des écoles et des centres de soins médicaux à proximité. Les collectivités doivent susciter un sentiment d’appartenance chez leurs résidents, locataires ou propriétaires. Notre Stratégie nationale sur le logement aidera justement le gouvernement du Canada à concrétiser cette vision d’envergure.
Il faut aussi rallier les constructeurs et les promoteurs, car nous devons concevoir des villes plus denses et malgré tout viables. Tout à l’heure, j’ai dit qu’il y a une augmentation de l’offre de copropriétés dans les villes comme Toronto et Vancouver, ce qui est souhaitable, mais il faut aussi d’autres types de logement. Les copropriétés répondent parfaitement aux besoins de nombreux ménages, mais pas à tous.
Ainsi, lors de notre analyse du marché de Vancouver, nous avons constaté un écart considérable entre les logements de deux chambres et ceux de trois chambres. Évidemment, cet écart s’explique en partie par le fait que les logements à trois chambres sont souvent des maisons individuelles, mais est-ce que ça doit être toujours comme ça? Pourquoi ne pas construire plus de copropriétés comptant trois chambres ou d’autres immeubles à plus forte densité, comme les duplex ou les triplex? Pourquoi ne pas répondre à ce besoin accru de surface habitable en rénovant des immeubles plutôt qu’en repoussant les limites de nos villes?
Source : BC Assessment
Les constructeurs et les promoteurs ne sont pas entièrement à blâmer, même si la constitution de réserves foncières par les promoteurs, tout comme les changements de zonage en amont ou en aval, nuit aussi à l’offre! Du côté des gouvernements, nous devons trouver des moyens plus efficaces de rezoner et de réaménager les propriétés sous-utilisées et d’élaborer des processus d’approbation plus simples et plus souples. Et oui, nous devons reconsidérer les politiques de contrôle des loyers, les droits d’aménagement, les régimes d’impôt foncier, les changements de zonage et les principes de l’utilisateur-payeur. En somme, il faut arrêter de nous rejeter mutuellement la responsabilité et de nous renvoyer la balle.
Sans faire porter le blâme à qui que ce soit, nous devons aussi évaluer objectivement la situation et trouver collectivement des solutions. Dans son livre Perverse Cities: Hidden Subsidies, Wonky Policy, and Urban Sprawl, l’urbaniste Pamela Blais avance que les montants perçus par les gouvernements servent à subventionner l’étalement urbain17. Nous avons analysé les données avec l’aide de consultants. Il a fallu formuler certaines hypothèses pour avoir une vue d’ensemble et tirer des conclusions : dans la région du Grand Toronto, les ensembles à densité élevée assument des charges non fédérales plus élevées que les ensembles de faible densité. C’est vraiment une taxe sur la densité. En plus de l’incidence des terrains industriels sur la construction résidentielle, les droits de rezonage liés à la hausse des prix des terrains font grimper les coûts des logements. Dans le Grand Vancouver, le réaménagement de propriétés est assujetti à des charges non fédérales plus élevées que les ensembles neufs.
À Montréal, les coûts d’aménagement sont beaucoup plus bas qu’à Vancouver et à Toronto. Les délais d’approbation des projets y sont aussi plus courts18, et l’administration souhaite réaménager ses vieux secteurs industriels en secteurs résidentiels.
Nouvel aménagement | Réaménagement | |||||
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Densité : | Faible | Moyenne | Élevée | Faible | Moyenne | Élevée |
Frais moyens par logement | Dollars par logement | |||||
Grand Toronto | 100 900 | 80 400 | 62 800 | 58 500 | 57 900 | 56 300 |
Grand Vancouver | 86 700 | 48 500 | 23 200 | 105 800 | 63 300 | 31 400 |
Grand Montréal | 18 100 | 12 800 | 7 100 | 18 500 | 12 900 | 7 100 |
Frais moyens par pied carré | Dollars par pied carré | |||||
Grand Toronto | 40 | 45 | 70 | 23 | 32 | 63 |
Grand Vancouver | 35 | 27 | 26 | 42 | 35 | 35 |
Grand Montréal | 7 | 7 | 8 | 7 | 7 | 8 |
Frais moyens en pourcentage du prix de vente | Pourcentage | |||||
Grand Toronto | 7,4 | 9,6 | 11,1 | 4,2 | 6,9 | 10 |
Grand Vancouver | 3,6 | 4,9 | 3,5 | 4 | 5,4 | 4,5 |
Grand Montréal | 3 | 3,1 | 2,6 | 3,1 | 3,2 | 2,6 |
Source : Groupe Altus – Études économiques
Fait intéressant, le marché locatif de Montréal est bien plus solide : le parc locatif privé y est proportionnellement beaucoup plus important qu’à Toronto, et plus de trois fois plus grand qu’à Vancouver19. Sur le plan de l’abordabilité, Montréal a adopté une approche particulièrement sensible.
Source : Données de la SCHL sur les mises en chantier et les achèvements
Nota : Données provenant des calculs de la SCHL d’après les résultats de recensement de Statistique Canada. .
Source : Recensement 2016 98-400-X2016226
Il faut aussi faire preuve de prudence avec les politiques susceptibles d’influencer négativement l’offre dans le secteur locatif. Bien entendu, nous devons protéger les locataires contre l’exploitation, mais tout est dans la manière dont nous le faisons. Reprenons l’exemple de San Francisco, véritable Mecque de l’innovation. Une nouvelle étude de l’Université Stanford a révélé que le contrôle des loyers, s’il protège les résidents actuels, fait diminuer l’offre de logements locatifs, en plus de potentiellement décourager les gens de venir s’installer sur place20. N’importe quel économiste vous dira que le contrôle des loyers est une mesure politique opportune, mais mauvaise pour le logement, parce qu’elle freine l’offre et ne motive pas les propriétaires à entretenir leurs immeubles.
Nous savons aussi que le renouvellement du parc de logements se fait trop lentement à Toronto et à Vancouver. À Montréal, il se construit 30 logements pour chaque immeuble détruit. Ce rapport est seulement de 20 pour 1 à Toronto, et de moins de 10 pour 1 à Vancouver.
Source: Calculs de la SCHL d’après des données de Statistique Canada
La SCHL est responsable du logement à l’échelle nationale
Mon message est simple. Il est temps d’examiner minutieusement la manière dont nous encourageons, ou parfois décourageons, le développement de nos villes, de rang mondial ou non. Nous devons entamer un dialogue sur ces questions, et il faut le faire rapidement.
En tant que gouvernements, comment travaillons-nous les uns avec les autres, mais aussi avec les promoteurs et les autres parties prenantes, pour lever les obstacles potentiels à la croissance de nos villes et de notre économie? Dans les régions urbaines comme Vancouver qui englobent plusieurs municipalités, comment pouvons-nous améliorer la planification, à l’échelle régionale, entourant des questions comme les infrastructures, le logement ou les transports?
La SCHL n’a certainement pas toutes les réponses, et nous reconnaissons que les problèmes ne relèvent pas d’un ordre de gouvernement en particulier. Ça ne concerne pas seulement les droits et la réglementation à l’échelle municipale ou le contrôle des loyers à l’échelle provinciale; au gouvernement fédéral, nous devons réévaluer nos propres politiques et pratiques. Nous savons que nous devons disposer de meilleures données et analyses pour étayer l’élaboration de politiques et la prise de décisions. C’est d’ailleurs une chose que la SCHL compte activement faire dans le cadre de sa Stratégie nationale sur le logement, parallèlement à l’examen de nos propres politiques et pratiques ayant eu pour effet de comprimer l’offre.
Je suis persuadé que le lancement de cette Stratégie, compte tenu du rôle de leadership national que prend ainsi le gouvernement du Canada sur la question du logement, ouvrira les portes au dialogue et à la collaboration sur plusieurs fronts. À Toronto, à Vancouver et à Montréal, ainsi que dans d’autres villes au pays, nous devons transformer les processus de planification et de production de logements pour les rendre plus rapides, plus efficaces, plus innovants et plus inclusifs. Pour y arriver, nous devons impérativement travailler main dans la main, au sein des gouvernements et entre ceux-ci, avec les promoteurs, les associations communautaires, les promoteurs et les fournisseurs de services.
La SCHL assurera le leadership nécessaire pour y parvenir. Nous organiserons une Conférence annuelle nationale sur le logement d’ici la fin de l’année, dont les thèmes centraux seront l’offre de logements et l’abordabilité. Il est vrai que, sur la scène du logement, tous les acteurs ont leurs propres objectifs. Cependant, pour les atteindre, ils doivent offrir aux Canadiens un foyer de même que la possibilité de réussir, afin que nos collectivités puissent poursuivre leur chemin sur la voie de la prospérité et de la croissance, contribuant ainsi à la vigueur de notre économie et à notre qualité de vie, lesquelles font à juste titre l’envie de tous sur la planète.
La SCHL apportera sa contribution. Nous coopérerons plus étroitement que jamais avec nos partenaires des provinces et territoires, mais aussi avec les municipalités, les fournisseurs de logements et les autres parties prenantes, dans le but de réaliser les objectifs ambitieux de la Stratégie nationale sur le logement.
Dernièrement, l’Université Harvard a posé une question : « Qui est responsable de l’avenir des villes? »21. Je dirais que c’est une question piège, car nous le sommes tous. C’est justement la raison pour laquelle nous devons travailler ensemble plus étroitement, au nom de notre pays.
Merci!
Comme toujours, j’aimerais remercier tous mes collègues qui ont contribué au texte de cette allocution, notamment John Bissonnette, mon coauteur, mais également Aled ab Iorwerth, pour son excellente étude sur les prix des logements (note 13), qui forme l’assise de mon argumentation.
1 Evan Siddall. Aucune solitude : une Stratégie nationale sur le logement (allocution au Canadian Club de Toronto), 1er juin 2017.
2 Mike Hales, Erik Peterson, Andres Mendoza Pena, Nicole Dessibourg-Freer et Katherine Chen. Global Cities 2017: Leaders in a World of Disruptive Innovation, A.T. Kearney, 2017, p. 11.
3 Ibid., p. 2.
4 Gilles Duranton et Diego Puga. « The Growth of Cities », dans Philippe Aghion et Steven Durlauf (dir.), Handbook of Economic Growth, vol. 2b, chap. 5, 2014.
5 Edward L. Glaeser, Jed Kolko et Albert Saiz. « Consumer city », Journal of Economic Geography, vol. 1, no 1, janvier 2001.
6 David Albouy, Fernando Leibovici et Casey Warman. « Quality of Life, Firm Productivity, and the Value of Amenities across Canadian Cities », Canadian Journal of Economics, vol. 46, no 2, pp. 379-411, mai 2013.
7 Joseph Gyourko, 2009. « The Supply Side of Housing Markets », National Bureau of Economic Research Reporter: Research Summary, no 2, 2009.
8 Cet argument est avancé entre autres par Andrew Oswald, de l’Université de Warwick, au Royaume-Uni. Une évaluation de l’incidence de la mobilité dans le contexte australien a été réalisée par l’Australian Housing and Urban Research Institute (AHURI) : Stephen Whelan et Sharon Parkinson. Housing tenure, mobility and labour market behaviour, rapport final de l’AHURI no 280, Australian Housing and Urban Research Institute Limited, mai 2017.
9 Chang-Tai Hsieh et Enrico Moretti. « Housing Constraints and Spatial Misallocation », NBER Working Paper no 21154, National Bureau of Economic Research, mai 2017.
10 Enrico Moretti. « Fires Aren’t the Only Threat to the California Dream », The New York Times, 3 novembre 2017.
11 Matthew Rognlie. « Deciphering the fall and the rise in the net capital share », The Brookings Institution, printemps 2015.
12 Pater Ganong et Daniel Shoag. « Why Has Regional Income Convergence in the U.S. Declined? », vol. 102, pp. 76-90, janvier 2015.
13 SCHL, Centre d’analyse de marché. Examen de l’escalade des prix des logements dans les grands centres métropolitains du Canada, février 2018.
14 Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). L’OCDE a défini une méthode pour examiner les densités de population dans les pays; ces chiffres pourraient donc différer de ceux de Statistique Canada.
15 Edward L. Glaeser et Matthew E. Kahn. « Sprawl and Urban Growth », dans J. V. Henderson et J. F. Thisse, (dir.), Handbook of Regional and Urban Economics, 1ère édition, vol. 4, chap. 56, pp. 2481-2527, ©Elsevier B.V., 2004.
16 Edward L. Glaeser. « Rethinking the Federal Bias Toward Homeownership », Cityscape: A Journal of Policy Development and Research, vol. 13, no 2, pp. 5-37, U.S. Department of Housing and Urban Development, 2011.
17 Pamela Blais. Perverse Cities: Hidden Subsidies, Wonky Policy, and Urban Sprawl, UBC Press, 2011.
18 Indice de l’Institut Fraser sur la réglementation (villes sélectionnées), 2016.
19 Statistique Canada, Recensement de 2016.
20 Rebecca Diamond, Tim McQuade et Franklin Qian. « The Effects of Rent Control Expansion on Tenants, Landlords and Inequality: Evidence from San Francisco », novembre 2017.
21 Carmen Nobel. « Who is responsible for the future of cities », Harvard Business School Working Knowledge, 6 novembre 2017.