Notes d’allocution pour Evan Siddall, Président et premier dirigeant, Société canadienne d’hypothèques et de logement
Canadian Club de Toronto
Sheraton Centre Hotel
123, rue Queen Ouest
Toronto (Ontario)
Seul le texte prononcé fait foi
Merci. Je suis heureux d’être ici aujourd’hui.
En 1945, l’auteur canadien Hugh MacLennan a écrit un grand roman, intitulé Deux solitudes, sur les tensions existant dans notre pays entre l’identité française et l’identité anglaise.
Aujourd’hui, je dirais que le monde se divise en deux solitudes notables : les personnes très riches et les personnes extrêmement pauvres, et l’écart entre les deux s’agrandit de jour en jour.
Les inégalités menacent profondément le tissu des sociétés occidentales modernes. Comme le fait remarquer Richard Florida, professeur à la Rotman School of Management, dans son livre The New Urban Crisis, les résultats inattendus au référendum du Royaume-Uni et aux élections présidentielles américaines témoignent de ce fossé grandissant1.
Au terme d’une vaste consultation d’un an, le gouvernement du Canada, par la voix de notre ministre, l’honorable Jean-Yves Duclos, a mandaté la SCHL pour élaborer la Stratégie nationale sur le logement, une occasion unique de faire en sorte que les Canadiens aient accès à un logement abordable qui répond à leurs besoins.
Je suis tenté de dire que c’est précisément pour corriger les inégalités croissantes que la Stratégie a été créée : pour réduire le fossé qui se creuse tous les jours entre les nantis et les démunis. Nous nous attaquons à un problème que de nombreux gouvernements ignorent – parce que nous sommes Canadiens.
J'aimerais avancer l’idée que le logement abordable est essentiel à la croissance économique et à la santé de la société. J’affirmerais aussi que notre Stratégie nationale sur le logement est fondamentalement, profondément canadienne. Nous l’avons délibérément investie de valeurs canadiennes comme la tolérance, la diversité et l’inclusion sociale. Loin d’être frivoles, ces qualités sont essentielles.
En gros, ce n’est pas de logement dont il est question ici. Notre objectif ne se limite pas à la construction d’habitations, même si c’est ce que nous ferons en grande partie. Notre ambition est beaucoup plus grande que ça.
Ce sont les gens, plutôt que les immeubles, qui sont au cœur de notre action. Selon Matthew Desmond, sociologue de Harvard et récipiendaire du prix Pulitzer pour son livre Evicted, le logement est à la source de l’identité individuelle : c’est un endroit où l’identité se forge et s’épanouit2...
L’abordabilité du logement et la croissance économique
Les immeubles sont remplis de personnes qui ont une identité et une histoire. Avec BC Housing, nous avons soutenu la construction d’un refuge de transition qui vient d’ouvrir ses portes à Coquitlam. L’un des résidents est un homme du nom de Mike. Voici son histoire :
L’histoire de Mike est une histoire parmi celles des 95 occupants du 3030 de la rue Gordon. Cette vidéo nous dévoile ce qui se cache derrière son nom. Nous avons bâti un endroit où Mike peut se loger pour l’instant. Mais dans le Grand Vancouver, comme ici dans la région du Grand Toronto, le coût du logement est un facteur de marginalisation sociale de plus.
Certaines études suggèrent que les prix des logements exacerbent le fossé entre les riches et les pauvres. Selon une étude que nous avons menée, il y a une relation très étroite, ici à Toronto, entre la richesse, les inégalités de revenu et les prix des habitations.
Notre observation fait écho au travail de Matthew Rognlie du MIT3. Celui-ci montre que la part de revenu net généré par le logement a augmenté dans toutes les économies du G7 depuis que les données sont disponibles, après la Deuxième Guerre mondiale. Selon lui, les observateurs préoccupés par la répartition des revenus devraient se pencher sur les coûts du logement.
Le logement a contribué à l’enrichissement des riches et à l’appauvrissement des pauvres.
C’est vrai pour Mike, et ça pourrait se vérifier dans l’ensemble de l’économie. J’ai déjà parlé du lien entre le prix élevé du logement, d’une part, et la dette des ménages et l’éventualité croissante de la faiblesse de l’économie, d’autre part4. Eh bien, on dispose désormais de données pour quantifier ce boulet pour l’économie.
En effet, des économistes ont étudié 54 pays entre 1990 et 2015 et ont trouvé que chaque tranche d'augmentation de 1 % du ratio de la dette des ménages au PIB tendait à affaiblir la croissance économique à long terme de 0,1 %5.
C’est certain que la dette des ménages stimule la consommation à court terme – moins d’un an, dans la plupart des cas – mais ses effets pervers sur la consommation ont tendance à s’intensifier à long terme lorsque le ratio de la dette des ménages au PIB dépasse 60 %. Et lorsque ce ratio est supérieur à 80 %, c’est la croissance globale du PIB qui tend à diminuer de plus en plus.
Aujourd’hui, le Canada se situe bien au-delà de ces seuils, avec un ratio de plus de 100 %.
Pressions sociétales émergentes : la menace des inégalités flagrantes
Il y a une vidéo6 sur YouTube qui dresse un portrait inquiétant de la répartition des richesses en Amérique. Cette vidéo, qui a déjà été visionnée plus de 20 millions de fois, explique que 40 % de la richesse de l’Amérique appartient à la tranche supérieure de 1 % de la population alors que la tranche inférieure de 80 % n’est propriétaire que de 7 % des richesses.
Reproduction artistique du graphique tiré de « Wealth Inequality in America »
Nelson Mandela a déclaré que « Tant que la pauvreté, l’injustice et les inégalités flagrantespersisteront dans le monde, nul ne pourra prendre de repos » (soulignement ajouté). Mandela se voulait rassembleur dans ses propos, mais sa déclaration présente un côté menaçant. En fait, la dernière fois qu’on a atteint un tel degré d’inégalité, la société s’est fracturée, la guerre a fini par éclater dans le monde et la Crise de 1929 s’en est ensuivie7.
Stimuler l’offre de logements pour accéder à l’abordabilité
Comme je l’ai mentionné plus tôt, on s’est rendu compte que le logement est en partie responsable des inégalités. À l’inverse, donc, le logement abordable peut contribuer à apporter une solution au problème.
Les nuages qui pointent à l’horizon appellent les gouvernements à réagir. Nous devons commencer par comprendre ce qui est à l’origine de l’inabordabilité des logements pour résoudre le problème. Avant de décider d’une politique, on devrait se fonder sur des preuves et des études rigoureuses, et non pas se fier à des anecdotes portant sur qui achète quel logement dans quel quartier.
La SCHL a récemment mené d’importants travaux de recherche sur les causes de la flambée des prix des logements dans les grandes villes canadiennes, surtout Vancouver et Toronto. Sans surprise, ces études ont révélé que les suspects économiques habituels en constituent les principaux facteurs : premièrement, la croissance économique et la création d’emplois et, deuxièmement, la croissance démographique et l’immigration. Ces deux villes étaient en tête quant à ces indices de mesure. Et troisièmement, les bas taux d’intérêt stimulent aussi cette hausse des prix.
Vancouver et Toronto se comparent de plus en plus aux autres grandes métropoles de la planète. Les prix des logements dans ces villes se démarquent de ceux enregistrés dans les autres villes du pays et se comportent de plus en plus comme ceux relevés chez leurs consœurs étrangères8.
Les villes constituent nos moteurs économiques et l’urbanisation devrait se poursuivre. On recense environ 54,5 % de la population mondiale dans les villes et on prévoit que cette proportion atteindra plus de 66 % en 2050 et que la population urbaine doublera dans les cent prochaines années, ce qui inversera complètement le rapport entre population urbaine et rurale9. L’augmentation des prix des logements devrait donc se poursuivre dans les villes canadiennes.
Il y a trois autres facteurs qui sont significatifs de l’appréciation des prix à court terme et peuvent aggraver la volatilité des prix. Ces facteurs sont les suivants : 1) la spéculation et les investissements, 2) le rapport entre richesse et revenu que j’ai mentionné précédemment et 3) l’offre.
Pour ce qui est du premier facteur, malgré les ouï-dire sur les investissements étrangers qui font monter les prix, toutes les données confirment que la majorité des investissements provient de sources nationales. Dans son examen annuel de l'économie canadienne, le FMI qualifie de « discriminatoires » les taxes sur les transactions immobilières résidentielles imposées aux acheteurs étrangers. de S’il est vrai que les investissements étrangers progressent, il est toutefois indispensable de mettre en place une politique pour limiter les effets de la spéculation, quelle qu’en soit la source.
En fait, les gouvernements ne peuvent contenir toutes les sources de l’augmentation de la demande de logements à Toronto et à Vancouver. Et les politiques qui stimulent davantage cette demande, comme l’octroi de fonds supplémentaires aux accédants à la propriété, ne font que faire monter les prix encore plus, ce qui empire le problème.
On serait tenté d’adopter une approche axée sur la demande, mais cela pourrait s’avérer contre-productif. L’assurance prêt hypothécaire et l’exemption de l’impôt sur le revenu des gains en capital découlant de la vente d’une résidence principale sont deux mesures qui stimulent la demande de logements au Canada. Si toutefois l’offre de logements n’est pas à la mesure de la demande, de telles politiques ont tendance à enrichir les vendeurs, ce qui creuse encore les inégalités.
L’abordabilité du logement passe donc par des mesures politiques axées sur l’offre. Et c’est exactement ce que nous nous proposons de faire avec la Stratégie nationale sur le logement du Canada, en visant à accroître l’univers d’habitations locatives de 80 000 unités et à moderniser 250 000 unités au cours des onze prochaines années. En valeur, la Stratégie va stimuler l’offre d'environ 9 dollars pour chaque dollar investi dans la demande de logements.
En outre, l’initiative Financement de la construction de logements locatifs, qui vient d’être lancée, accordera la préférence aux ensembles produits dans des municipalités qui accélèrent les processus d’approbation et renoncent à certains droits. Autant d’incitatifs à une offre de logements rapide et abondante.
Au fil du temps, le marché canadien s’est éloigné du modèle traditionnel de logements construits expressément pour les locataires. Pourtant, 26,4 % de locataires, comparativement à 6,5 % de propriétaires, éprouvent des besoins impérieux en matière de logement – un indice de mesure de l’abordabilité du logement qui précise qu’il est pénible de dépenser plus de 30 % de son revenu avant impôt pour accéder à un logement local, de taille et de qualité convenables10.
Nous visons, grâce à la Stratégie nationale sur le logement, à réduire cet écart sur le marché locatif : les taux d’inoccupation à Toronto (1,3 %) et à Vancouver (0,7 %) témoignent du manque criant de logements locatifs pour les personnes qui en ont le plus besoin11.