Les économistes soulignent souvent les domaines traditionnels où des gains de productivité peuvent être réalisés. En ce qui concerne le logement, les experts du secteur ajouteront que ceux-ci ne se limitent pas à la phase de construction.
Dans ce premier d’une série d’articles portant sur la productivité, nous commencerons par examiner les problèmes de productivité plus généraux et bien connus, puis nous brosserons un tableau des problèmes plus précis liés à la chaîne d’approvisionnement en matière de logement. Grâce à ces perspectives générales et précises, nous pourrons ensuite déterminer les domaines où les gains de productivité sont plus susceptibles d’être réalisés.
La croissance de la productivité est généralement une bonne chose, mais…
Si l’on examine un modèle économique de base, le fait de produire plus avec les mêmes intrants (ou autant avec moins) augmente la valeur ajoutée et le revenu. Les entreprises peuvent ainsi bénéficier d’une croissance des bénéfices et des dividendes, les travailleurs d’une hausse des salaires, les pouvoirs publics d’une augmentation des recettes fiscales et les consommateurs d’une baisse des prix.
Cela dit, la façon dont ces gains sont répartis est une question beaucoup plus compliquée. Cette complexité de la distribution doit être examinée et comprise avec soin au moment de déterminer les gains de productivité potentiels. C’est pourquoi il est essentiel d’avoir des connaissances spécialisées propres à ce secteur d’activité et que l’on ne peut pas les remplacer par une approche économique de base.
La productivité de la main-d’œuvre : un enjeu fondamental et généralisé
Aujourd’hui, au Canada, la productivité de la main-d’œuvre est surtout limitée par le départ à la retraite des baby-boomers et la pénurie généralisée de main-d’œuvre spécialisée. En fait, il y a très peu de régions au pays qui ne soit pas touché par l’un de ces facteurs.
Le départ à la retraite des baby-boomers de la population active est un enjeu majeur. Dans le secteur de la construction, on s’attend à ce qu’environ 25 % des gens employés partent à la retraite d’ici 10 ans.
Pendant ce temps, la pénurie de main d’œuvre a entraîné une forte baisse de l’inscription aux programmes de formation dans les métiers. Pour le secteur de la construction résidentielle, qui dépend d’un large éventail de travailleurs qualifiés, il s’agit d’un obstacle majeur.
Et même si l’augmentation de l’immigration contribuera à régler ce problème, le moment et l’ampleur de ces répercussions demeurent incertains. Nous aborderons ce sujet dans un article à venir.
Le logement pose des problèmes particuliers de productivité
Plusieurs caractéristiques particulières du logement posent de réels défis pour réaliser des gains de productivité. Ces facteurs sont principalement liés à la nature du logement proprement dit et à son processus de production particulier. Les habitations et même les immeubles d’appartements diffèrent grandement selon de nombreuses caractéristiques. Cela élimine les avantages de la production de masse.
De plus, mise à part certain cas d’exception, le logement n’est pas encore produit en usine. Sa construction repose plutôt sur une chaîne de production complexe. Cette chaîne dépend de nombreuses étapes et de retards potentiels qui ne sont pas entièrement contrôlés par le constructeur.
Par exemple, lorsqu’on compare la construction résidentielle au secteur minier, beaucoup plus productif, les différences sont évidentes. Les entreprises minières sont généralement de grande envergure et ont accès à des capitaux importants, ce qui facilite des activités comme la recherche-développement et l’embauche d’un personnel technique et de gestion hautement qualifié.
Elles bénéficient aussi d’économies d’échelle et d’une forte demande, et peuvent profiter des marchés internationaux. De plus, la production a lieu dans un espace beaucoup plus restreint, ce qui permet une extraction continue, 24 heures sur 24.
L’incidence de ces facteurs et d’autres caractéristiques est évidente dans les statistiques, comme la productivité de la main-d’œuvre (le rapport entre la valeur ajoutée réelle et les heures travaillées). En effet, nous constatons que le rapport du secteur de l’extraction de pétrole et de gaz est de près de 700 par rapport à celui de la construction résidentielle, qui est de 50.
Bien qu’il y ait des chemins que le secteur de l’habitation peut suivre, comme un secteur plus consolidé, d’autres chemins sont beaucoup moins évidents, voire impossibles.
Structure fragmentée du secteur de la construction résidentielle au Canada
Bien que la plupart des secteurs industriels en Amérique du Nord se soient consolidés au cours du dernier siècle, le secteur de la construction résidentielle demeure exceptionnellement fragmenté. Si l’on définit un secteur consolidé comme étant composé d’un à cinq grands acteurs, le secteur canadien de la construction résidentielle ne l’est pas.
C’est plus évident dans certaines régions du pays et, sans surprise, dans les segments des maisons individuelles, où certaines entreprises construisent une maison par année. Comme mentionné ci-dessus, la faiblesse de la consolidation du marché nuit à l’investissement dans la R-D ainsi qu’à l’efficacité du recrutement, de la formation, de l’affectation des ressources et de la gestion de projet.
Selon une étude récente commandée par l’Association de la construction du Québec, la productivité accrue du secteur de la construction résidentielle est attribuable à la proportion plus élevée d’immeubles collectifs (100 logements et plus) construits par des entreprises. Compte tenu de l’essor récent de technologies comme l’intelligence artificielle, les contrats de chaîne de blocs, la modélisation 3D et l’automatisation des bâtiments, il est raisonnable de croire que les grandes entreprises soient plus en mesure d’optimiser ces technologies.
Bien que la densification urbaine continue et accrue puisse entraîner un degré plus élevé de consolidation, le secteur dans les petites agglomérations urbaines et les régions rurales demeurera probablement fragmenté.
La productivité de l’offre : c’est plus que la construction
La production d’un logement, en particulier un immeuble d’appartements, implique l’achèvement de plusieurs phases critiques avant l’arrivée des travailleurs sur le chantier. Les étapes les plus importantes comprennent la conception du concept, les études de faisabilité, l’acquisition de fonds de financement, les permis de construire et les protocoles de contrôle de la qualité.
Lorsqu’on tient compte de l’ensemble du processus dans une perspective de productivité, il est plus juste de parler de la productivité de l’offre.
Dans un article à venir, nous examinerons certaines des étapes susmentionnées et déterminerons où les écarts de productivité peuvent être comblés.
Le secteur public dispose de leviers particuliers qu’il peut utiliser
Lorsqu’il est question de productivité, le secteur public (national, provincial et municipal) peut jouer un rôle dans plusieurs domaines. Il s’agit notamment de leviers traditionnels comme l’investissement direct, les incitatifs fiscaux et les politiques ciblées (visant des domaines particuliers comme l’enseignement supérieur et la R-D). Toujours à l’échelle nationale, les gouvernements peuvent participer, directement et indirectement, à la promotion du capital de risque.
Les administrations régionales et locales ont un rôle tout aussi important à jouer pour s’attaquer aux réalités particulières qu’elles comprennent mieux et dont elles sont mieux outillées pour gérer. Cette liste comprend des enjeux reliés au Code du travail et au contexte réglementaire.
Prenons pour exemple la ville de Kelowna. Depuis l’an dernier, le personnel de Kelowna travaille en partenariat avec Microsoft à l’élaboration d’un agent conversationnel d’intelligence artificielle qui peut recevoir les demandes de construction et de rénovation, les analyser pour en vérifier la conformité et délivrer les permis.
Le temps est venu d’agir avec audace
Lorsque nous considérons la productivité comme une solution à la crise du logement, nous devons tenir compte des enjeux communs à tous les secteurs, mais aussi à ceux qui sont propres à l’offre de logements. À partir de cet article d’introduction, nous constatons que l’offre de logements fait face à des défis de productivité généraux et propres au secteur. Lorsqu’on tient compte de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement en logements, celle-ci englobe plus que la phase de construction.
Dans ce contexte, il est impératif que les mesures visant à accroître la productivité de l’offre de logements soient minutieusement adaptées aux réalités particulières du secteur et du marché.
La pandémie de COVID-19 a été une période marquée par une mobilisation urgente, intense, novatrice et de grande envergure, inégalée depuis la Seconde Guerre mondiale. Pensons notamment aux percées sans précédent dans la productivité des produits pharmaceutiques, que l’on croyait jusque-là impossibles. Ce moment très difficile nous a appris que, malgré un grand obstacle, il y avait une façon de faire.
On peut s’attendre à des résultats limités en l’absence d’un consensus à l’effet que la crise du logement est d’une importance capitale et que les secteurs privé et public doivent prendre des mesures audacieuses et concertées.